Pour le première fois dans l’histoire du Parti communiste espagnol (PCE), lors de son récent XVIe congrès, une plate-forme d’opinion s’est constituée à l’échelle nationale, défendant des documents politiques alternatifs et présentant ses propres candidats au Comité fédéral et au poste de secrétaire général.
Cette plate-forme, bien que respectant les statuts du parti, fut confrontée à d’énormes difficultés de fonctionnement qu’il serait trop long d’énumérer ici mais qui furent très supérieures à celles affrontées lors de la VIe Assemblée de la Gauche Unie. Néanmoins la liste présentée au Comité fédéral a obtenu 21 % des mandats, face à une liste commune de ceux qui avaient appuyé les candidatures de Frutos et Llamazares lors de la VIe Assemblée de la Gauche unie.
Le bilan politique de cette initiative doit être compris dans le cadre du processus ouvert au sein de la Gauche unie par le Document alternatif, qui visait la construction d’un espace politique de la gauche radicale et qui, prochainement, donnera lieu à l’apparition d’un courant d’ampleur nationale au sein de la Gauche unie.
Le déroulement des événements depuis octobre 2000 a permis de confirmer la validité du Document alternatif défendu au sein de la Gauche unie et d’approfondir l’élaboration dans la même direction. De manière télégraphique en voici les éléments centraux :
a) La guerre, globale et durable, et le durcissement de la répression ne doivent pas être perçus comme des accidents ; au contraire il s’agit d’éléments stratégiques de la mondialisation capitaliste.
b) La guerre et la répression sont des éléments constitutifs d’un nouvel ordre et de nouvelles alliances, appelés « anti-terroristes ». La social-démocratie, sous l’hégémonie de la « troisième voie », est un élément structurel du nouvel impérialisme.
c) Face à la crise économique, chaque fois plus profonde et plus intense, le capitalisme mondial répond par l’intensification des mécanismes d’exploitation et par l’élimination des vestiges de la légitimation du système : la relative « progressivité » fiscale, les systèmes de protection sociale, les droits sociaux et du travail ainsi que les droits politiques.
d) La complicité de la grande majorité des forces politiques et syndicales de la gauche envers ces agressions brutales s’exprime par leur renoncement à prendre la tête de la résistance et des luttes au travers de mobilisations générales effectives et se traduit par une légitimation plus efficace des gouvernements.
e) La première conséquence est une grave crise de représentation politique, intensifiée par les scandales de la corruption liés aux privatisations. L’abstention croissante de la gauche conduit à l’échec des positions réformistes en son sein qui dissimulent mal l’adoption des politiques néolibérales et sa complicité envers la guerre. Le Pacte PSOE-Gauche unie en 2000, la déroute de l’Olivier en Italie ou le désastre électoral prévisible du PCF [1], en témoignent.
f) La perte de légitimité croissante des directions des syndicats majoritaires, perçus de plus en plus comme un élément des appareils de l’État, en est une deuxième conséquence. A cela s’ajoute de manière décisive la fragmentation de la classe [ouvrière] par les multiples formes de précarité et d’exclusion, parmi lesquelles il faut souligner la situation faite aux immigrés.
g) La faillite de la représentativité politique et syndicale, dont l’expression la plus achevée est l’Argentine, mais qui a un caractère général, et en même temps l’émergence du « mouvement des mouvements », montrent que les temps de l’impotence devant la défaite sont passés et qu’il est possible de reprendre l’offensive, à condition de partir de la constatation qu’un « autre capitalisme est impossible ».
h) La critique radicale du système et le pari stratégique sur l’approfondissement et l’extension du conflit social — tels sont les conditions essentielles pour construire de nouvelles et amples formes d’unité. Cela signifie pour les forces politiques de subordonner la présence dans les gouvernements aux intérêts de la lutte sociale ; de partir du constat fait par la société que l’alternance étouffe le développement de l’alternative.
i) Il est vital que les secteurs les plus avancés et les plus combatifs du mouvement ouvrier fassent partie du mouvement contre la mondialisation, pour que s’établisse une relation dialectique entre la mobilisation sociale et l’intensification de la lutte de classes. La manifestation gigantesque de Rome le 23 mars et l’appel à une grève générale en Italie après vingt ans de concertation, auraient été inconcevables sans Gênes et son dialogue fécond avec la FIOM [2], sans la marche Pérouse-Assise [3] et, en définitive, sans l’articulation féconde avec le tissu social italien menée à bien par le mouvement.
j) La lutte même menée par le mouvement, dans la mesure ou elle se lie à la lutte des travailleurs et qu’elle permet que l’activité politique, sociale et syndicale se nourrissent mutuellement, est capable de faire avancer la recomposition de l’unité de la classe, en y incorporant les valeurs alternatives, en se liant à la lutte pour la paix, à l’indispensable internationalisme non seulement comme attitude mais comme méthode de travail, à la construction des formes de démocratie directe. En fin de compte c’est cela le bouillon de culture fertile pour la construction du sujet politique de la transformation sociale, à un moment crucial et dramatique de l’histoire de l’humanité, alors que la barbarie et le chaos sont la seule alternative à une telle transformation.
La Plate-forme d’Opinion a remis en cause de manière explicite et radicale le stalinisme en théorie comme en pratique, dans l’activité politique interne comme dans sa conception du pouvoir. Elle défend également la nécessité d’aborder en profondeur le débat sur la faillite stratégique qui s’est produite lors de la Transition [de la dictature de Franco au royaume constitutionnel actuel] et sur ses conséquences, tant en ce qui concerne la profondeur de l’affaiblissement politique et organisationnel du mouvement populaire, qu’en ce qui concerne la recomposition du pouvoir économique des classes dominantes, de leur représentation politique et de leur contrôle des moyens de communication.
Le document alternatif s’est efforcé de mettre en question le système politique actuel et de soulever les grandes questions non résolues, telle la République fédérale ou le droit à l’autodétermination des peuples. Dans un de ses paragraphes il est dit : « Depuis le XIIIe congrès le PCE a initié une critique timide de la transition et de l’action politique propre de la direction du parti à ce moment. Le XVIe congrès doit être l’occasion d’aller plus loin et de dire s’il peut y avoir un sens quelconque de maintenir une quelconque fidélité envers un pacte constitutionnel dont les conséquence réelles sont une perte constante des droits des travailleurs et des travailleuses et la réduction, jusqu’à la disparition, de la démocratie. Il faut se demander si la construction de la démocratie ne passe pas justement par la remise en question de l’actuel système politique de notre pays et par l’actualisation des thèmes centraux que nous avions définis dans le projet de rupture démocratique, dont l’abandon a contribué de manière décisive à l’ébranlement du puissant mouvement populaire construit contre la dictature. »
Finalement, le débat que nous avons ouvert dans le PCE, loin des batailles internes à courte vue, concerne la grande question – théorique et pratique – à laquelle est confrontée toute la gauche radicale faible et fragmentée de notre pays : celle de la construction avec beaucoup d’autres de ce mouvement capable de dire sérieusement, comme cela fut proclamé cette année à Porto Alegre, qu’un autre monde est possible seulement avec le socialisme.