Le discours du gouvernement sur les retraites manque de logique. Il consiste à dire que l’afflux de retraités va faire exploser le système par répartition. On s’attend alors à ce que « l’inéluctable réforme » s’attache à baisser par avance ces pensions, décidément impossibles à payer. Pourtant, le gouvernement explique en même temps que cette « réforme » permet de garantir le niveau des pensions qui, sans cela, auraient été divisées par deux.
- Alors, les pensions vont-elles oui ou non baisser ?
La réponse est évidemment oui : les salariés continueront -pour toute une série de raisons qui tiennent au marché du travail et aux conditions d’emploi - à partir en retraite à peu près au même âge, mais ils le feront avec une pension réduite. Est-ce que cela va suffire pour financer les retraites ? La réponse est clairement non. D’abord parce que les politiques néo-libérales ne peuvent en aucun cas nous ramener au plein emploi. Ce n’est d’ailleurs pas leur objectif réel, car la théorie qui les inspire considère qu’un volant de chômage important est bon pour l’économie. Le transfert des indemnités de chômage vers les retraites, sur lequel compte Fillon, ne constitue donc pas une ressource fiable. Et il n’y a en aura pas d’autre puisque la nouvelle loi d’airain consiste à refuser à l’avenir toute augmentation du taux de cotisation.
Il est donc parfaitement justifié de dire que la réforme n’est pas financée. Mais c’est là une critique naïve puisque cette réforme n’est en aucun cas faite pour financer les retraites. Elle a pour fonction d’instituer une nouvelle règle, qui fonctionne exactement à l’inverse de la répartition, et qui est la suivante : on calcule l’enveloppe disponible pour les pensions et on réalise l’ajustement en jouant sur deux paramètres désormais flexibles, le taux de remplacement et le nombre d’annuités. Le système est dorénavant « à cotisations définies » et ne garantit plus rien sur le niveau réel des pensions. Ce brouillage devient un argument majeur (mais parfaitement fallacieux) en faveur de la capitalisation, dont le développement donne alors le coup de grâce au système par répartition, selon le scénario explicité par la Banque mondiale dans un rapport récent.
- N’existe-t-il vraiment aucune alternative à cet avenir grisâtre ?
Ce sont les économistes plutôt classés « à gauche » qui montent au créneau [*] pour critiquer les propositions des opposants à la réforme en faveur d’autres modalités de financement. Selon eux, non seulement le compte n’y est pas, mais ces mesures dégraderaient la compétitivité ou finiraient par retomber sur les salariés. Il est facile de montrer que ces objections ne reposent sur rien.
Supposons que, sur les quarante ans à venir, on se donne une double règle (d’équité, si l’on veut) : que la masse salariale, y compris les cotisations, augmente comme le revenu national ; que la pension moyenne progresse aussi vite que le salaire net moyen. On démontre alors que le pouvoir d’achat de chacun, actifs et retraités, augmente chaque année comme la productivité du travail, moins une certaine « décote « qui correspond à l’augmentation du nombre de retraités plus rapide que celle des actifs. Les estimations de milieu de fourchette donnent 1,8 % de productivité, dont il faut retirer 0,5 % pour les nouveaux retraités, de telle sorte qu’il reste une croissance de 1,3 %. Ce rythme de progression est le double de celui que l’on a enregistré au cours des vingt dernières années, et conduit à une augmentation du niveau de vie des deux tiers d’ici à 2040. Le choc démographique a fait long feu : il n’y a pas d’explosion, et comme la part des salaires reste constante, il n’y a pas non plus de menace sur la compétitivité.
L’augmentation des retraites est ici financée par les salariés, et c’est un choix de société possible (d’ailleurs validé par le Conseil d’orientation des retraites), auquel aucun préalable d’ordre économique ne peut être opposé. Les libéraux oublient ce scénario, pourtant modéré, pour parler d’autre chose. Ils s’emparent habilement des points faibles de leurs contradicteurs, en particulier des tentatives approximatives pour trouver un financement miracle par élargissement de l’assiette à la valeur ajoutée, taxation des revenus financiers ou des machines. Ils ont beau jeu de montrer que ces dispositifs rompent avec la logique de la répartition, sans pour autant dégager de nouvelles marges de manouvre. Ils se dispensent ainsi de discuter l’argument central qui les gêne et qui consiste à remarquer que l’on finance très bien les retraites, même en conservant la répartition du revenu actuelle, pourtant particulièrement défavorable aux salariés.
Cette opération de diversion recouvre un ralliement discret au dogme du patronat, que l’on justifie en inventant une loi nouvelle selon laquelle toute augmentation du taux de cotisation pénalisera en fin de compte les salariés. Ce refus est une mesure préventive à l’égard du scénario catastrophe qui remettrait en cause ce qui est vraiment intouchable, à savoir les revenus financiers. Toutes les arguties libérales sur l’impossibilité de modifier durablement la répartition obéissent au fond à cette seule préoccupation : empêcher l’alternative d’apparaître dans toute sa cohérence. Le refus du plan Fillon repose en effet sur un argument en béton, qui est la baisse de huit points de la part des salaires depuis vingt ans, au bénéfice exclusif des revenus financiers. Rien, et surtout pas le bilan désastreux de cette politique, ne s’oppose à ce que le chemin soit parcouru en sens inverse. Concrètement cela veut dire : commençons par payer les pensions et regardons ensuite ce qui reste pour les actionnaires. Organisons le retour à une bonne part salariale par augmentation de la cotisation patronale. Assumons la lutte sociale pour le partage des richesses qu’aucune loi ne saurait codifier sur vingt ans. Ce n’est pas en inventant de nouvelles taxes qu’on parviendra à augmenter les salaires.
- Veut-on généraliser la désastreuse prime pour l’emploi ? Tient-on vraiment à se faire fourguer la solution factice de la CSG ?
Les hausses de salaire, directes ou socialisées, sont encore le moyen le plus sûr de faire reculer les revenus financiers et de reconstruire une société solidaire.