- JRV : Comment la LCR analyse-t-elle « la crise » actuelle du système capitaliste ? Quelles propositions avance-t-elle pour la combattre ?
Alain Krivine : Elle participe des grandes crises qui secouent périodiquement un système dominé par la recherche à tout prix du profit et qui arrive à un moment où la richesse financière ne correspond plus à la richesse réelle. La crise financière devient dès lors industrielle, sociale, récessive et politique. Dans ce climat, des millions de gens découvrent d’un seul coup le coté barbare, criminel et anti-démocratique du capitalisme.
L’ampleur de cette crise démontre qu’il y a nécessité à « changer le monde ». D’un côté, deux milliards de personnes ne mangent pas à leur faim, et de l’autre, le productivisme capitaliste est en train de détruire la planète. Cet absurde et inhumain système économique doit radicalement être remis en cause. En outre, des centaines de milliards d’euros sortent de caisses prétendumentvides sans que personne ne sache d’où ils viennent, où ils vont et qui les contrôle.
Face à cela, nous proposons des mesures immédiates comme la mise en place d’un pôle public de banques et du crédit contrôlé par les employés et la population. S’y ajoute l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit et pour celles qui délocalisent, le remboursement des subventions reçues de l’état, sous peine d’expropriation. Tout ceci nécessiteral’ouverture des livres de compte, la levée du secret bancaire, la prohibition des paradis fiscaux. En outre, la relance de l’économie implique de relever immédiatement le pouvoir d’achat par une augmentation des salaires et pensions de 300 euros et la fixation du SMIC à 1 500 euros net. Enfin une toute autrerépartition des richesses permettra de financer ces mesures en taxant les profits et en remettant en cause le droit de propriété dans certains secteurs clés.
- JRV : La gauche institutionnelle parle de « l’économie de marché » – autrement dit le capitalisme – comme d’un horizon indépassable lié à la globalisation. Des mouvements critiques ont néanmoins lieu (démission de Mélenchon, vraisemblable sortie des communistes dits unitaires de l’appareil du PCF etc.). Comment va se situer le NPA, demain, à l’égard de ces groupes ? Peut-il y avoir « rassemblement » lors du scrutin des européennes ?
AK : Les anticapitalistes n’apparaissent plus comme des zombies. C’est même l’inverse ! Le projet du NPA c’est de construire un débouché politique pour tous les courants, toutes les personnes qui veulent résister par un « tous ensemble » unitaire à l’offensive sans précédent du patronat et du gouvernement Sarkozy. Toutes celles et tous ceux qui ne croient pas ou plus à la possibilité de « réformer » ou « d’humaniser » le capitalisme et qui sont prêts à se battre pour un autre partage des richesses démocratiquement décidé et contrôlé par la population sont concernés. Cela intéresse d’abord une grande majorité de gens qui n’ont jamais été politiquement organisésmais aussi des militants qui n’ont plus d’illusions sur la politique de leurs partis (PCF, PS ou Verts). Avec eux, comme avec les Communistes unitaires ou PRS, le débat est nécessaire aussi bien pour discuter du NPA que d’une liste unitaire aux européennes. Mais l’expérience a montré, avec les parcours de Fabius, Montebourg, Peillon ou malheureusement celui de Bové que le vote non à un référendum ne suffit pas à se mettre d’accord sur un programme anticapitaliste. Il reviendra à ces forces de préciser leur degré d’accord avec nos grands axes de programmeet surtout de se déterminer par rapport à notre volonté de ne pas participer à des coalitions gouvernementales avec les PS comme l’ont fait le PRC en Italie ou comme Die Linke en Allemagne.
- J.R.V. : En quoi le NPA qui sera créé début février 2009 peut-il changer la donne à gauche ? Où en est son processus de création tant sur le plan quantitatif que qualitatif ? Le NPA sortira-t-il de la sphère très réductrice de l’extrême gauche ?
AK : Bien avant son congrès de fondation,fin janvier prochain, l’écho du NPA est considérable.Avant même sa naissance, il force déjà tous les partis de gauche en crise à se définir en permanence en fonction de lui ou des déclarations d’Olivier Besancenot... Il est donc déjà utile. Alors que la LCRne regroupe que 3500 militants, plus de 11 000 cartes sont en train d’être placées ! Ce parti qui n’existe pas encore accueille unefrange de militants expérimentés venant du PS (plus que prévu...) et du PC avec un fort contingent du mouvement syndical et associatif. Bien plus nombreux à rejoindre le NPA sont les femmes et les hommes, plutôt jeunes, non engagés jusqu’alors, qui discernent là « la seule gauche combative ».
Parti qui veut « révolutionner la société », le NPA ne sera pas « trotskyste » mais s’efforcera de synthétiser le positif des différentes traditions du mouvement ouvrier. Il s’enrichira de l’apport des militants altermondialistes, écologistes ou féministes sans oublier l’expérience de ceux qui viennent des partis traditionnels ou du mouvement libertaire. En ce sens même s’il serait absurde et malhonnête de nier le rôle des militants de la LCR, l’expérience actuelle a déjà convaincu les plus réservés sur le fait qu’il ne s’agit assurément pas d’une « LCR élargie » mais de l’incontestable fondation d’une nouvelle formation politique appelée à jouer un rôle majeur.
- JRV : Nous nous connaissons depuis longtemps. Tu es l’un des cofondateurs de la LCR. Aujourd’hui, c’est Olivier Besancenot qui est sur « le devant de la scène » et la LCR va s’auto-dissoudre. Cela doit te faire quelque chose, non ?
AK : Le congrès de dissolution de la LCR va se tenir avant celui de la création du NPA et je n’ai aucun regret, aucune nostalgie. Pour moi un parti n’a jamais été un but en soi mais un outil pour faire triompher des idées et des combats. Nous avons toujours essayé de mettreen pratique nos idées. Déjà le rajeunissement de la LCR et sa féminisationse sont traduit par le départ de son Bureau Politique de la presque totalité de ses fondateurs et les femmes, désormais, en composent la moitié. La place d’Olivier témoigne de la capacité de la LCR à se donner un porte-parole représentatif et dont les interventions font mouche. Qui s’en plaindrait ? En fait nous commençons là, dans une période politique marquée par la crise profonde du capitalisme, une nouvelle expérience enthousiasmante qui est pour nous sans précédent. Jusqu’alors, nous recrutions à la LCR avec difficulté quelques centaines de gens qui avaient différencié stalinisme, maoïsme, trotskysme, anarchisme et tous les « ismes » imaginables. Aujourd’hui, les révolutionnaires sont écoutés par des millions de personnes et s’efforcent, sans du tout renier leur combat, de construire un parti populaire qui va nous astreindre à changer, en commun, notre vocabulaire, nos méthodes, notre fonctionnement. Un parti qui va aussi nous obliger à écouter et à apprendre. Un mouvement utile dans les luttes, utile pourdégager une alternative politique et pourquoi pas demain, à certaines conditions qui n’existent pas encore, utile à l’exercice du pouvoir. Rien ne se clôt mais une nouvelle page s’ouvre.