Comparution de M. Slobodan Milosevic

Les incohérences du Tribunal pénal international

, par SAMARY Catherine

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LE transfèrement de M. Slobodan Milosevic au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) le 28 juin 2001 passera-t-il dans l’histoire comme une avancée du droit international ou comme un acte de subordination politique et marchande du nouveau gouvernement de Serbie et de son premier ministre Zoran Djindjic à la politique des Etats-Unis ? Ce questionnement ne peut être ignoré alors que l’extradition s’est produite la veille d’une réunion de donateurs où les Etats-Unis conditionnaient l’aide accordée à la RFY à l’accomplissement de cette « obligation internationale », refusée pourtant par la Cour Constitutionnelle yougoslave.

Loin d’améliorer l’image du TPIY en Serbie, loin d’ouvrir les yeux de sa population aux crimes commis en son nom, ce transfèrement risque de favoriser un autisme persistant. M. Milosevic l’a compris, lui qui a utilisé sa première comparution devant de cette cour , le 3 juillet, pour contester la légitimité même du tribunal ainsi que le caractère mercantile de son extradition, - ce qui lui a permis de faire le silence sur les crimes qui lui sont reprochés.

Ce transfèrement précipité (alors qu’une collaboration entre tribunaux serbes et TPIY avait été envisagée) pourrait d’ailleurs faire jouer à M. Milosevic un rôle de paravent pour tous ceux qui ont reproché à l’ancien maître de Belgrade, non pas d’avoir impulsé des guerres de nettoyages ethniques, mais d’avoir abandonné en route le projet de grande Serbie. Comment ne pas s’étonner, à cet égard, que le responsable du transfèrement, M. Djindjic se soit affiché aux côtés du maître d’œuvre des nettoyages ethniques en Bosnie, M. Karadzic, à l’époque même où M. Milosevic rompait avec celui-ci pour devenir l’artisan des plans de paix occidentaux après 1993 ?

Mais le moment où a été prononcée l’inculpation de Slobodan Milosevic - pendant la guerre de l’OTAN (mars-juin 1999) - justifie la critique contre le TPI qui devient ainsi instrument politique (visant à couvrir l’action de l’OTAN au Kosovo) et non judiciaire… En fait, la preuve première de ce contexte « opportuniste » de l’acte d’accusation est... qu’il ne porte que sur le Kosovo, alors que les principaux crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été commis en Croatie et en Bosnie, avant que M. Milosevic et Franjo Tudjman, soient associés aux accords de Dayton (1995).

C’est précisément pour gagner en crédibilité que la procureure du TPIY a prévu de rendre public, à l’automne 2001, un deuxième acte d’accusation concernant la période de la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995). Les inquiétudes qui se manifestent en Croatie face aux requêtes d’extradition à La Haye de commandants croates responsables de la campagne de nettoyage ethnique des Serbes de la Krajina au cours de l’été 1995 indiquent à quel point le TPIY cherche à prouver une objectivité qui lui fait défaut. Le traitement de crimes commis contre des Serbes, en Croatie (en Bosnie et au Kosovo) ira dans ce sens.

Pour qui est sincèrement convaincu du rôle que pourrait jouer le TPIY dans le progrès difficile d’un droit international, il devrait être essentiel de réclamer l’indépendance financière et politique du TPIY à l’égard des grandes puissances.

Enfin, pour qui les bombardements de l’OTAN relevaient d’une « guerre humanitaire », le traitement effectif de l’action de l’OTAN par le TPI au regard du droit international devrait être une urgence, ainsi d’ailleurs que le débat politique sur les responsabilités des gouvernements occidentaux dans les avancées des guerres de nettoyages ethniques (de Srebrenica à Mostar en passant par la Krajina croate et le protectorat établi au Kosovo).

L’action du TPIY ne peut gagner en cohérence qu’en s’élargissant. Mais elle aura du mal à se dégager de l’objectif de légitimer les bombardements de l’OTAN qui a marqué l’inculpation de M. Milosevic : on veut faire oublier que les « frappes » étaient initialement censées forcer Belgrade à signer les accords de Rambouillet et non pas (comme on les a ensuite présentées, dans le contexte de l’expulsion massive des Albanais du Kosovo pendant la guerre) une « réaction » à une politique de nettoyage ethnique en cours de réalisation.

L’inculpation, amendée et confirmée le 29 juin 2001, porte sur la période de janvier à juin 1999, confortent ainsi la thèse d’une action de l’OTAN (en mars) postérieure aux débuts d’une offensive de nettoyage ethnique (en janvier). Or s’il s’agit de reprocher à Belgrade la politique d’oppression et de répression de la minorité albanaise au Kosovo ou de l’UCK (Armée de Libération du Kosovo), notamment en 1998, ni la période ni les termes de l’inculpation ne sont adéquats. S’il s’agit d’une inculpation visant un plan de nettoyage ethnique qui aurait commencé à être mis en œuvre en janvier 1999 (légitimant l’intervention de l’OTAN en mars), rien n’en fut dit de février à mars à Rambouillet... On ne peut en tout cas que souhaiter la plus grande transparence et le retour sur les massacres commis - y compris ceux, fort controversés, de Racak qui ont précipité la conférence de Rambouillet [1]...

Jusqu’alors, le nombre de corps exhumés dans la province depuis la fin de la guerre en juin 1999 est inférieur à 5 000, principalement albanais (moins que les seules victimes de Srebrenica). Les Albanais du Kosovo dont on n’a pas retrouvé la trace seraient environ 2 500, selon le Fonds du droit humanitaire de Mme Natacha Kandic qui évalue à environ 7 000, le nombre des victimes albanaises dont M. Milosevic et ses co-inculpés seraient responsables - le chiffre de 10 000 est parfois avancé. La découverte récente de charniers en Serbie pourrait concerner plusieurs centaines de victimes parmi ces disparus (le ministère serbe de l’intérieur a avancé le chiffre d’un millier). Selon Libération du 3 juillet 2001, les fosses auraient été creusées « en avril 1999 quand la guerre faisait rage ». Ces dissimulations de corps sont un des éléments à charge les plus accablants contre l’ancien maître de Belgrade (et contre bien des responsables encore au pouvoir) prouvant qu’il savait tout sur les exactions commises par ses troupes. Elles demeurent cependant très en deçà - ce qui ne les excuse évidemment pas - de celles commises par l’armée française en Algérie, par la Turquie contre les Kurdes, et le pouvoir russe en Tchétchénie...