Nouvelle période, nouveau parti, ou la continuité des luttes de classes…

, par LEMAÎTRE Yvan

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L’offensive déclenchée par Sarkozy, la droite et l’establishment politique contre Mai 68 à l’occasion de son quarantième anniversaire a souligné le contenu du défi que nous voulons relever en engageant la bataille pour un nouveau parti anticapitaliste. Face à cette offensive idéologique, l’enjeu est de construire une force qui formule, sur tous les terrains, une politique qui conteste pied à pied la politique et le pouvoir des classes dominantes.
L’impuissance de la gauche, y compris des antilibéraux, leur incapacité à s’opposer à l’offensive des classes dominantes renvoient à l’échec du réformisme, démonstration qu’à l’heure de la mondialisation libérale et impérialiste il ne peut y avoir de réponse que globale. La défense des intérêts quotidiens des travailleurs, de la population suppose de ne pas craindre de contester radicalement tant la légitimité de cette offensive, ses objectifs que sa mise en oeuvre pratique, de s’attaquer au pouvoir des classes dominantes, à leur État. Radicalement, c’est-à-dire en remettant en cause ce qui est à l’origine même de la crise mondialisée que connaît la planète, ses racines, la propriété privée capitaliste, financière, l’économie de marché, la concurrence pour le profit.
Il s’agit de réaffirmer la légitimité de la contestation du pouvoir des classes dominantes dans la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société, de redonner tout son sens à la lutte de classe, de reformuler le rôle historique des exploités, la lutte pour le socialisme.
Cette perspective politique ne repose pas sur un simple choix volontariste mais bien sur la compréhension des traits essentiels de la nouvelle période, des contradictions à l’oeuvre qui bouleversent les données mêmes de notre activité. Au coeur donc de notre projet il y a la discussion, le travail collectif pour saisir ces contradictions, pour élaborer une stratégie, un programme.
Cela nous impose un retour en arrière sur les causes des échecs passés, pour discuter de ce qui, aujourd’hui, redonne une crédibilité au programme socialiste ou communiste, en un mot répondre à la question : changer le monde, est-ce possible ? Cela nous oblige à penser notre projet au regard de l’évolution historique, tant celle du capitalisme que du mouvement ouvrier. En quoi sommes-nous confrontés à une nouvelle période ? Qu’est-ce qui la différencie des périodes antérieures ? Qu’est-ce qui aujourd’hui peut nous laisser raisonnablement penser que notre combat n’est pas condamné à n’être qu’une utopie, mais bien réellement et concrètement la voie pour changer le monde à travers les luttes et résistances quotidiennes dans la perspective globale de la lutte pour le socialisme ?

Par delà les défaites, les échecs, les progrès du monde du travail

Il est clair que l’histoire a joué un bien mauvais tour aux luttes d’émancipation en laissant la contre-révolution qui a suivi la Révolution russe de 1917 se dérouler dans le cadre même de l’État créé par cette révolution. La vitalité de la révolution dont la réaction ne put alors venir à bout a ainsi permis à la dictature bureaucratique de se vêtir des oripeaux du communisme. Autre paradoxe, cette survivance « bureaucratique » de la révolution a, dans sa concurrence avec l’impérialisme, encouragé et aidé un autre grand progrès pour les peuples, le mouvement des luttes de libération nationale qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. Il l’a encouragé, de fait, dans le même temps qu’il a contribué à le contenir dans les limites du nationalisme dans le souci de préserver la place de la bureaucratie dans l’ordre international né des rapports de force au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Aujourd’hui, l’ensemble de ce long processus révolutionnaire qui a été déterminant dans le siècle précédent a épuisé ses forces consumées de l’intérieur même par les aspirations bourgeoises et conservatrices des couches, des castes dirigeantes issues de la montée révolutionnaire.
Et, aujourd’hui, la bourgeoisie impérialiste essaye de masquer son absence de perspective autre que la perpétuation de ses propres privilèges, son incapacité à répondre aux besoins du développement humain, en utilisant les drames de l’Histoire, les faiblesses des opprimés. Elle tente de discréditer toute volonté de changer le monde, d’en finir avec la société capitaliste décrétée « horizon indépassable ». Cette offensive idéologique n’a d’effet qu’autant que les opprimés, les courants politiques qui participent de leur combat intègrent eux-mêmes leur échec momentané, plient sous la pression idéologique de l’adversaire.
Mais au-delà des défaites, des échecs, des drames, dont le principal a été de n’avoir pas pu empêcher les deux guerres mondiales dans lesquelles les puissances impérialistes ont plongé le monde pour se le partager, ni les sales guerres coloniales dues à leur volonté de perpétuer leur domination sur les peuples, l’Humanité a continué sa marche en avant. Elle a payé et continue de payer d’un prix extrêmement lourd la domination des classes capitalistes, alors que celle-ci n’obéit plus depuis longtemps à aucune nécessité. Les bases matérielles permettant une réorganisation de l’économie afin qu’elle produise pour satisfaire les besoins humains existent déjà depuis des décennies. Mais leur maturité n’était — force est de le constater — pas assez grande pour que la conscience humaine puisse collectivement pleinement s’émanciper des carcans imposés par la propriété privée, l’État, les nations, la concurrence et le marché, pour imaginer et construire à l’échelle internationale une société planifiée et fondée sur la coopération des peuples. La conscience façonnée par les vieilles structures de la société d’exploitation, « le vieux fatras » selon l’expression d’Engels, a été, avec l’aide des armées de la réaction, plus forte sur le terrain de la lutte de classe que la conscience moderne, communiste, en formation à partir du développement de la socialisation de la production.
Malgré cela, l’Humanité a continué de progresser. Les luttes des opprimés ont mis fin au scandale de la domination coloniale, les progrès scientifiques, techniques ont unifié la planète comme jamais, permis un développement sans précédent des échanges et des relations entre les peuples qui, de fait, sapent les bases de domination nationale de la bourgeoise, des États. La socialisation, l’internationalisation, la globalisation de la production ont permis un profond mûrissement des bases matérielles nécessaires à l’émergence d’une conscience socialiste internationale.
À ces progrès les classes dominantes répondent par une politique réactionnaire qui vise à perpétuer leur domination sapée par le progrès social. La propriété privée se bat contre la socialisation, la planification. Les classes possédantes exacerbent ainsi les contradictions du capitalisme, globalisent la crise en particulier à travers la crise écologique, précipitent le monde dans l’instabilité et « la guerre sans limite ». En réponse à cette folle fuite en avant, elles poussent au regroupement des exploités du monde entier pour défendre leurs droits.
Et c’est bien à partir de la combinaison de ces deux tendances fondamentales et antagonistes qu’il nous faut faire la critique de la mondialisation : les progrès qui s’expriment dans le développement international de la classe ouvrière combinés à -l’oeuvre destructrice de la propriété privée. La socialisation de la production entre en contradiction, à un niveau jamais atteint, avec l’appropriation privée.

La critique de la mondialisation du point de vue révolutionnaire

Le Capital, dans le même mouvement par lequel il dépossède le travail des richesses tant matérielles que culturelles qu’il crée, prive des millions d’êtres humains de toute autre possibilité pour vivre ou survivre que de vendre leur force de travail.
La mondialisation, c’est d’abord et avant tout l’extension du rapport d’exploitation salariée à l’ensemble de la planète, la mise en concurrence des travailleurs à l’échelle mondiale comme jamais par le passé. Le développement économique qui s’est opéré sous le fouet de la concurrence, de la course effrénée aux profits, aboutit à la prolétarisation de millions de paysans pauvres ruinés par les multinationales et condamnés à fuir la misère des campagnes pour les bidonvilles des mégapoles des pays pauvres ou à tenter de survivre en risquant leur vie dans l’émigration.
Cette prolétarisation accélérée et massive bouleverse les conditions d’existence de l’ensemble de la classe salariée. Durant l’époque impérialiste, la bourgeoisie des vieilles puissances avait réussi à maîtriser, sinon à résoudre, la question sociale grâce au pillage des peuples coloniaux et aux surprofits ainsi accumulés dont elle distribuait des miettes à son propre prolétariat. Aujourd’hui, elle ne peut maintenir ses profits qu’en se soumettant à la concurrence internationale dans laquelle les bourgeoisies des anciennes nations coloniales ou dominées jouent du faible coût de la force de travail du jeune et nouveau prolétariat.
Cette mise en concurrence entraîne dans un premier temps une baisse générale du coût du travail qui se manifeste, ici, par la remise en cause des acquis sociaux. À plus long terme, elle crée les conditions d’une convergence des exigences du vieux prolétariat, en particulier européen, avec le jeune prolétariat des pays pauvres.
Elle a pénétré la vie quotidienne des travailleurs des vieilles métropoles impérialistes, elle obnubile les gouvernements confrontés à un phénomène qu’ils ont eux-mêmes provoqué, qu’ils entendent utiliser à leur profit et celui de leur classe, mais qu’ils ne contrôlent pas et dont les effets à long terme les dépassent. La course folle du libéralisme tend elle-même à abolir les frontières entre les travailleurs et les peuples et crée ainsi les conditions mêmes d’une internationalisation des luttes indispensable pour en en finir avec lui. Cette prolétarisation qui s’opère à l’échelle mondiale, si elle a pour effet dans un premier temps de faire baisser le coût de la force de travail par la concurrence mondialisée, entraîne en retour une simplification des antagonismes de classe. Elle crée les conditions objectives d’un véritable internationalisme, c’est-à-dire la conscience chez des millions de prolétaires de leurs intérêts communs fondés sur leur participation à la production des richesses à l’échelle mondiale à travers un réseau d’interdépendance qui dépasse les nations.
Cette globalisation capitaliste entraîne une globalisation de la crise qui s’exprime dans la crise financière en cours avec la hausse des prix des matières premières et du pétrole, et aussi dans la catastrophe écologique. Elle touche tous les domaines de la vie, condition de travail, alimentation, santé, environnement, climat, et illustre la phrase de Marx : « La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du processus de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ».
Notre critique ne vise pas seulement à démontrer tous les méfaits de la domination capitaliste, les drames de l’oppression, les crimes de l’injustice, il s’agit de mettre ces crimes en relation avec les progrès, les évolutions, les transformations qui rendent aujourd’hui possible et nécessaire une révolution internationale. La nouvelle phase libérale et impérialiste du développement capitaliste, depuis le capitalisme de libre concurrence en passant par l’impérialisme, porte la contradiction entre propriété privée et socialisation à un niveau jamais atteint sans qu’il reste pour le capitalisme de nouveaux espaces à conquérir. Elle aboutit à une crise permanente d’ores et déjà en cours depuis les débuts de la crise du crédit aux ÉtatsUnis, qui menace de plonger le monde dans un état d’instabilité, de régression politique, sociale, écologique. L’évolution capitaliste, si elle suit son cours sans résistance ni opposition, conduit à une catastrophe, mais le développement même de la société grâce au travail de millions d’hommes a créé les conditions qui permettent aux combats du passé d’acquérir une nouvelle force.
Les transformations qui ont eu lieu ces dernières années mûrissent les conditions objectives, les bases matérielles d’une révolution socialiste, dans le même temps qu’elles bouleversent les conditions de vie et, en conséquence, les consciences des travailleurs et de la population. Sa principale conséquence est de saper les bases du réformisme. Durant la phase impérialiste les classes dominantes avaient réussi à perpétuer leur pouvoir en divisant les opprimés, en opposant le prolétariat des pays riches à celui des pays pauvres grâce aux surprofits tirés de l’exploitation des peuples coloniaux.
Aujourd’hui, la concurrence mondialisée tend à diminuer les possibilités pour l’aristocratie financière de redistribuer ces surprofits aux exploités et sape les bases mêmes de la paix sociale au coeur des métropoles capitalistes. C’est à partir de l’ensemble de ce processus que naissent et la nécessité et la possibilité d’un nouveau parti des exploités, que se formulent le programme et la stratégie pour les luttes d’émancipation, que se préparent les nouvelles confrontations de classe sur la route de la transformation révolutionnaire de la société.

Construire un parti des travailleurs, formuler un programme et une politique pour les luttes

À chaque tournant de l’Histoire, face au redéploiement capitaliste, le mouvement ouvrier a dû accomplir ce travail théorique, politique, pratique. Nous sommes devant les mêmes responsabilités.
Dans les discussions autour de la définition et des délimitations du parti que nous voulons construire il est souvent dit que les références idéologiques ou historiques ne nous sont pas nécessaires. Certes, le fétichisme du passé relève du dogmatisme. Mais on ne peut faire du neuf sans mémoire du passé, sans assumer une continuité, sa propre continuité, sans apprendre de sa propre histoire. Le fait, par exemple, que nous puissions nous retrouver aujourd’hui dans le même parti que d’anciens militants du Parti communiste ayant défendu le stalinisme ne nous rend pas agnostiques sur cette question. Nous assumons pleinement la continuité du courant trotskyste. Elle n’est pas une référence idéologique, nous ne sommes pas des idéologues, mais elle est la continuité du combat d’émancipation contre les bureaucraties conservatrices ou réactionnaires. Fondamentalement, le trotskysme c’est ce combat pour la démocratie au sein du mouvement ouvrier, la démocratie comme élément indispensable de la lutte, comme essence même de la révolution, l’irruption des opprimés sur le terrain où se décide leur sort.
La continuité du marxisme révolutionnaire nous est indispensable pour comprendre, découvrir, expliquer les déterminismes fondamentaux façonnés par l’Histoire sur lesquels prend appui notre action et, en conséquence, notre programme comme notre stratégie. Construire notre cohérence, l’enraciner dans la réalité objective, son évolution, ses contradictions à travers un travail collectif, voilà le socle indispensable au nouveau parti d’émancipation que nous voulons construire.
Nous n’avons aucune recette ni modèle pour changer monde, nous pensons et agissons au sein du mouvement d’émancipation pour définir ses, nos propres objectifs, les moyens pour y parvenir à partir des réalités pratiques et concrètes des luttes. Nous ne sommes pas une secte voulant dicter sa volonté au mouvement, mais nous voulons être au sein du mouvement ceux qui pen-sent et agissent du point de vue de ses intérêts généraux.
Ce travail pour armer les consciences, enraciner les perspectives révolutionnaires dans les évolutions sociales, fonde notre indépendance politique, donne l’audace, la liberté de parole et d’action pour défendre les positions du mouvement ouvrier révolutionnaire en rupture avec le réformisme devenu social-libéral.
Si les organisations politiques et syndicales réformistes se sont intégrées au libéralisme, ce n’est pas par libre choix mais bien parce qu’à partir du moment où on abdique de la lutte de classe, de la perspective de transformation révolutionnaire de la société, il ne reste plus qu’à boire le calice jusqu’à la lie de la capitulation. Ces directions ont perdu depuis longtemps toute indépendance de pensée, elles sont intellectuellement, politiquement, socialement intégrées au système.
La renaissance du mouvement ouvrier passe par la reconstruction de cette indépendance politique, c’est le contenu même de la bataille pour un parti anticapitaliste.
Notre programme — porter les exigences essentielles du monde du travail —, pose nécessairement la question du pouvoir, de « la conquête de la démocratie » selon la formule de Marx. Toutes les questions sociales renvoient à la question du pouvoir, contester la politique des classes dominantes suppose de postuler soi-même au pouvoir, à la conquête de la démocratie par la classe ouvrière.
La période que nous vivons se définit par l’effondrement du mouvement ouvrier, tel que la Révolution russe puis la contre-révolution stalinienne l’avaient défini, combiné à une nouvelle phase libérale et impérialiste de développement du capitalisme qui crée les conditions objectives, tant sociales que politiques, d’une renaissance du mouvement ouvrier. Cette nouvelle situation pose la question du parti en termes entièrement nouveaux. Elle exige des révolutionnaires qu’ils se défassent de toutes les conception avantgardistes — construction par en haut, conceptions de petits groupes se développant en marge du mouvement ouvrier réel —, sans abdiquer de quelque façon que ce soit de l’intégralité de leur programme, bien au contraire. Ce programme n’est pas un dogme, une idéologie, il est le contenu même des luttes de classes, la démocratie, le socialisme, la révolution.

Y.L.

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