Pierre Le Grève (1916-2004)

, par DOBBELEER Georges

Recommander cette page

Pierre Le Grève est mort le 1er août, à Bruxelles, à 88 ans. Il aura été toute sa vie l’exemple même du militant marxiste à l’action désintéressée, généreuse et efficace. Aux côtés d’Ernest Mandel il aura eu en Belgique, depuis la fin des années 30 une activité continue à la fois politique, syndicale et surtout internationale qui mérite notre admiration et notre estime.

Il était né dans une famille bourgeoise mais avait rompu très jeune avec les idées et le comportement de ce milieu. En 1934 il commence une licence en philosophie à l’université de Bruxelles et y rejoint les étudiants socialistes qui vont fusionner avec les étudiants communistes. Mais le tournant à droite de Staline en faveur des Fronts populaires détourne ceux-ci des perspectives de révolution socialiste, ce que Pierre ne peut admettre. Il rencontre alors Georges Vereeken, organisateur d’un syndicat de chauffeurs de taxi et l’un des leaders trotskystes en Belgique. C’est lui qui lui explique la dégénérescence bureaucratique de l’URSS stalinienne et le convainc aisément. En 1938, qualifié de trotskyste, on refuse son engagement dans les Brigades internationales qui luttent contre Franco.

Le groupe de Vereeken qui publie Contre le courant ne s’associe pas en 1938 à la fondation de la IVe internationale par Trotsky, qu’il juge prématurée.

La guerre et l’après-guerre

Le 10 mai 1940, Pierre Le Grève fait son service militaire, ce qui lui évite l’arrestation par la sûreté de l’État belge. Il quitte, près de Montpellier, un régiment qui finira dans un stalag allemand et à peine rentré en Belgique, dès l’été 1940 il reprend son action militante et la diffusion de Contre le courant, ce qui l’oblige à passer toute la guerre dans la clandestinité. Les staliniens qualifient ce journal tout d’abord de soutien à l’impérialisme anglo-saxon, puis après l’invasion de l’URSS par les nazis le 22 juin 1941, ils l’appellent « hitléro-trotskyste ».

Au lendemain de la guerre les deux groupes trotskystes distincts s’unissent pour fonder le Parti communiste internationaliste, section belge de la IVe internationale. Pierre entre aussitôt au Bureau politique du parti et il y sera actif pendant 30 ans.

Ouvrier à Charleroi puis représentant de commerce, il peut enfin trouver, comme philosophe, un emploi de professeur de morale laïque dans l’enseignement de l’État à Ixelles-Bruxelles.

À partir de 1951, les trotskystes belges pratiquent l’entrisme dans le parti socialiste. Non sans difficultés, il peut s’y faire admettre à la section locale d’Uccle-Bruxelles. Adhérent à l’Association des enseignants socialistes, il est assez convaincant pour y faire adopter en 1955 un programme généreux d’ « école unique de 12 à 18 ans » qui doit permettre aux enfants des travailleurs d’avoir accès à une formation générale et plus seulement professionnelle. C’était l’application dans l’enseignement des revendications du Programme de transition élaboré par Trotsky en 1938. En 1982 ce programme fut adopté par un congrès doctrinal du syndicat CGSP-FGTB de l’enseignement.

Congo, Algérie, Vietnam...

Pour se prononcer au sujet de l’avenir du Congo belge, le PSB organise un congrès en juillet 1956. Face à un rapport très modéré, Pierre obtient l’appui du congrès et même du président du parti, Max Buset, lorsqu’il réclame les libertés démocratiques immédiates pour le Congo.

Le 1er novembre 1954, le FLN commence une insurrection en Algérie. L’opinion publique belge, assez francophile, n’est pas prête à soutenir cette révolution contre le colonialisme français. Pierre crée dès 1955 un « comité pour la paix en Algérie ». Ce titre modéré couvre des activités concrètes d’aide aux militants algériens en transit et pas seulement de la propagande par meetings et publications. Le livre de J. Doneux et H. Le Paige Le front du nord a rendu un hommage mérité à Pierre Le Grève, organisateur dynamique et efficace.

Les services secrets français veulent mettre fin à cette activité par des actes terroristes. Déjà, le 9 mars 1960, l’étudiant algérien Akli Aîssiou est assassiné à Bruxelles. Peu après un colis piégé tue le professeur Laperches à Liège. Pierre reçoit un colis identique mais ne l’ouvre pas et il échappe à la mort. L’opinion publique belge se détourne alors du soutien à la France gaulliste. Le 12 mars 1962 Pierre organise à Bruxelles un meeting de Jean-Paul Sartre contre la guerre d’Algérie, qui recueille un énorme succès.

Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, Pierre participe à Alger à une « conférence européenne d’aide non-gouvernementale à l’Algérie » qui cherchera à sortir la nation algérienne indépendante de sa situation dramatique. Le comité Algérie se transforme ensuite en « comité contre le néo-colonialisme et le fascisme » et aidera notamment les militants de gauche au Maroc. Pierre sera aussi l’un des fondateurs du « comité Vietnam » qui organisera de très grandes manifestations de rue. Il mènera aussi campagne avec succès pour empêcher l’extradition vers l’Espagne franquiste de l’anarchiste Abarca.

Lutte syndicale et politique

Au syndicat de l’enseignement, Pierre fut l’un de ceux qui, pendant la grève générale de 1960-1961, renversèrent à Bruxelles une direction peu soucieuse de démocratie. À partir de là seules des assemblées générales décidèrent de l’orientation et de l’action du syndicat.

Pierre avait écrit dans son livre Souvenirs d’un marxiste anti-stalinien : « J’ai toujours prôné un syndicalisme de combat orienté par un idéal de classe ». Brillant orateur, il a toujours parlé et agi dans ce sens. Actif au sein du PS, il avait été en décembre 1956 aux côtés d’Ernest Mandel, l’un des fondateurs de l’hebdomadaire La Gauche qui visait à regrouper l’aile gauche de ce parti. Mais en décembre 1964, le congrès du PS aboutit à l’exclusion des rédacteurs du journal.

L’aile gauche socialiste réussit alors à créer le Parti wallon des travailleurs en Wallonie et l’Union de la Gauche socialiste à Bruxelles, unis par un lien fédéral. À Bruxelles en 1965 une alliance électorale de l’UGS et du PC permet l’élection de Pierre comme député. Cela l’oblige à démissionner de son poste de professeur. Il ne retrouvera cette activité professionnelle qu’avec beaucoup de difficultés à la fin de son mandat de député. Au parlement il était intervenu en faveur des droits des étrangers, en défense des mineurs du Limbourg en grève, contre le coup d’État des colonels grecs et contre l’établissement de l’OTAN en Belgique.

Au milieu des années 1970 il cessa de militer au sein de l’organisation trotskyste belge, tout en restant fidèle à ses convictions. Sa santé ne lui permettait plus d’agir depuis quelque temps mais dans les conclusions des ses Souvenirs il réaffirmait : « Il y a longtemps que je suis adepte du marxisme, je le reste ; que je suis communiste, je le reste ; que je suis trotskyste, je le reste ».

Nous avons perdu un camarade. Nous n’oublierons pas Pierre Le Grève, image exemplaire du militant marxiste révolutionnaire.

Pour citer cet article

Georges Dobbeleer, « Pierre Le Grève (1916-2004) », Inprecor, n° 497, septembre 2004.

Pas de licence spécifique (droits par défaut)