Le jeune historien berlinois Mario Kessler a rassemblé ici des essais d’histoire du communisme, qui se distinguent nettement, par leur intelligence critique, des vulgates anticommunistes — ou communistes staliniennes — qui encombrent le terrain.
Les essais sont groupés en trois grands chapitres. Le premier, dédié à l’histoire du Komintern, examine les grands moments de l’histoire du mouvement communiste international, avec une attention particulière aux courants hérétiques, qui se sont dissociés de la terreur stalinienne. Plusieurs pages sont dédiées à un mouvement peu connu hors des frontières allemandes, le KPO, Parti Communiste Allemand Oppositionnel, fondé en 1928 par Heinrich Brandler et August Thalheimer, qui a lutté — en vain — pour l’unité antifasciste du mouvement ouvrier allemand avant 1933. Si jusqu’à 1936 le KPO a soutenu l’industrialisation et la collectivisation forcée en URSS, sa position deviendra de plus en plus critique, et il finira — comme Trotsky dès 1935 — par se prononcer pour le renversement de la dictature de Staline et pour une démocratie socialiste pluraliste.
La deuxième partie contient des essais sur trois grands critiques du « socialisme réel » : Leon Trotsky, Ernest Mandel et Milovan Djilas. Le texte sur Mandel est une excellente synthèse de la vie mouvementée et de l’œuvre de ce disciple de Trotsky qui a su renouveler la réflexion marxiste révolutionnaire. On peut s’interroger sur la pertinence d’associer le nom de Djilas à celui des autres critiques : selon l’auteur, La nouvelle classe (1957) était un ouvrage d’inspiration socialiste ; mais il reconnaît que l’évolution postérieure de Djilas l’a éloigné aussi bien de la gauche que du marxisme. Un quatrième essai est dédié aux petits groupes qui occupaient, en Allemagne, l’espace entre le communisme et la social-démocratie : outre le KPO mentionné plus haut, le SAP, Parti Socialiste Ouvrier, fondé en 1931 par des dissidents de gauche du parti social-démocrate, comme l’économiste marxiste Fritz Sternberg, bientôt rejoints par une minorité du KPO, dont Paul Frölich, le biographe de Rosa Luxemburg. L’auteur s’intéresse aussi aux activités de ces groupes — ou de quelques réseaux d’individus — après la guerre, persécutés à l’Est et isolés à l’Ouest.
Enfin, la dernière section regroupe des travaux sur les rapports entre marxisme et antisémitisme — un des principaux thèmes de recherche de Mario Kessler. Il montre — en s’appuyant, entre autres, sur les travaux d’Enzo Traverso — les ambiguïtés de la réflexion de Marx sur la question juive, et, surtout, sa profonde ignorance de la condition réelle des Juifs en Allemagne et en Europe. Par contraste, la position d’Engels, et son combat actif contre l’antisémitisme apparaissent comme beaucoup plus lucides, même s’il n’a pas pu prévoir, bien entendu, l’avenir de la haine raciale contre les Juifs. Les deux autres essais examinent la posture du mouvement socialiste face à l’antisémitisme et les rapports de la Révolution Russe de 1917 avec le mouvement ouvrier juif.
Dans l’ensemble, ces essais sont un apport précieux à une histoire critique du mouvement communiste, comme théorie et comme pratique.
Sur Mario Kessler (Illusion héroïque et terreur stalinienne) Contributions à la recherche communiste
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- Mario Kessler, Heroische Illusion und Stalin Terror. Beiträge zur Kommunismus-Forschung, Hamburg, VSA Verlag, 1999, 237 pages.