« En France, les nouvelles mesures sociales s’inspirent souvent d’expérimentations. Le contrat de transition professionnelle a peu fait parler de lui. Et pourtant, ce dispositif mis en place en 2006 pour une durée de deux ans préfigure sans doute l’esprit qui guidera, demain, le contrat unique. A priori, rien de bien méchant. Créé pour accompagner les salariés licenciés pour motif économique dans les entreprises de moins de 1 000 salariés, il assure un revenu de remplacement pendant un an égal à 80 % du salaire brut antérieur perçu par le bénéficiaire et prévoit, de même, des mesures de formation pour aider à la réinsertion. Seulement voilà, il confère aux salariés licenciés la responsabilité du statut qui est le leur : celui d’être désormais privé d’emploi.
Jamais, à aucun moment, ce dispositif ne ramène les entreprises aux responsabilités qui sont les leurs. Tandis que le bénéficiaire est sommé d’être actif dans sa recherche, de se présenter aux convocations qui lui sont adressées, de donner suite à toute offre d’emploi qui pourrait lui être faite répondant aux conditions prévues par le code du travail, « y compris celles qui incluent une mobilité professionnelle ou géographique dans des conditions acceptables », et ce sous peine d’être exclu du dispositif, le chef d’entreprise, lui, est exonéré de toute action susceptible de garantir la reconversion des salariés licenciés.
Cette façon de voir n’est pas acceptable. Elle soulève quelques questions de fond qui doivent absolument être au coeur des négociations à venir. Premièrement : qui, de l’employeur ou du salarié, doit assumer les risques économiques des entreprises ? Ensuite : quelles solidarités imposer entre les PME et les grands groupes, les donneurs d’ordre et les sous-traitants ? Enfin : quels liens reconstruire aussi entre les collectifs de travail, entre les salariés employés sur un même site mais employés par différentes entreprises ? De toutes évidences, les solidarités de métiers qui faisaient la force des conventions collectives s’avèrent impuissantes aujourd’hui à affronter les défis posés par les nouveaux contours de l’emploi. Il faut donc les reconstruire ; les refonder sur ces sites de travail sur lesquels, quels que soient leurs employeurs, les salariés partagent les mêmes risques et les mêmes conditions de travail.
En abordant ainsi la problématique de l’emploi et de sa sécurisation, la lutte contre la précarisation du travail prend toute autre allure. Bien sûr, il faut continuer à la dénoncer et à la combattre. Mais en considérant les entreprises par les réseaux qui les lient, on s’aperçoit qu’existent des facteurs de stabilité qui peuvent aider à la conquête de nouveaux droits. Dans les aéroports, il y a des salariés qui changent trois fois d’employeurs sans jamais changer d’emploi. N’y aurait-il pas là des choses à changer, des garanties nouvelles à envisager pour éviter que, chaque fois, leur contrat de travail soit mis en jeu ?
La question qui nous est posée est autant celle de savoir quel droit individuel imaginer pour protéger les salariés que de retisser du collectif : d’imaginer des garanties sociales nouvelles ; de redéfinir les responsabilités des employeurs telles qu’elles sont : les contraintes qui lient désormais les plus petites entreprises aux plus grandes sans que, rien dans le droit, n’imposent aux structures donneuses d’ordre d’assumer les conséquences que font peser leurs décisions pour les activités qu’elles ont externalisées.
Des expériences déjà existent, comme la convention de site de Saint-Nazaire où les protections obtenues dans les unités économiques et sociales imposant à l’employeur principal d’assurer la sécurité des salariés des unités de plus petites tailles ? Ce doit être elles qui doivent servir d’exemple, non un contrat comme le contrat de transition professionnelle qui, une fois encore, décharge les employeurs de leurs responsabilités. Le concept de « flexsécurité » exonère les entreprises des conséquences de leurs politiques sur le devenir des hommes et des sociétés. La conception de l’emploi qu’il véhicule est celui d’un emploi précaire, jetable, sans autre garantie que celle accordée aux salariés d’accepter les emplois qui peuvent leur être proposés. C’est cette logique d’opposition entre salariés et chômeurs qu’il faut combattre. Il faut contester la légitimité des employeurs à supprimer des emplois. Et, alors, le droit à l’emploi ne s’oppose plus à la sécurité sociale professionnelle et au nouveau statut du travail salarié. Il devient bien au contraire indissociablement lié. Complémentaire ».
Point de vue
Emploi : les solidarités nouvelles qu’il faut construire
Recommander cette page
La réforme du contrat de travail s’inspirera-t-elle du contrat de transition professionnelle expérimenté depuis dix-huit mois dans sept villes de France ? S’il doit en être ainsi, explique Louis-Marie Barnier, les employeurs s’exonéreront des responsabilités qui sont les leurs.