Entretien avec Dominique Larchet

, par LARCHET Dominique

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Selon Dominique LARCHET, la politique de « front unique » auquel le PS convie les partis d’extrême gauche n’est pas acceptable. Elle repose sur l’idée que les partis trotskistes ne seraient utiles qu’en tant que forces supplétives d’un PS à jamais hégémonique. Au contraire, l’extrême gauce doit davantage s’affirmer comme une « véritable alternative ». En revanche, des mobilisations communes sont possibles, ponctuellement, sur un thème déterminé.

« Peu importe que le PS soit sincère ou non, si nous pouvons nous rassembler pour combattre plus efficacement, il faut le faire ».

Q - Quel a été votre parcours à la LCR ?

Dominique LARCHET - Mon grand-père était franc-maçon et syndicaliste, mes parents étaient des compagnons de route du PCF. Je suis devenu trotskyste à 16-17 ans et je suis rentré à la LCR à 18 ans. J’en suis sorti et revenu à plusieurs reprises. Par ailleurs, je suis cheminot et syndicaliste à FO. J’ai participé à la coordination des cheminots en 1986, ce qui m’a valu d’être viré.

Q - Y a-t-il selon vous deux composantes dans la gauche : une gauche critique et une gauche de gouvernement ?

D. L. - Oui. L’une d’entre elles s’est social-libéralisée. Elle accepte le cadre du capitalisme et de la mondialisation. Elle veut à la rigueur en limiter les excès, mais, sur le fond (c’est-à-dire, au-delà même de l’économie, l’écologie, les institutions, etc.), elle a renoncé à changer les choses en profondeur. Par exemple, le PS ne propose pratiquement plus aucune réforme de la Ve République. Cette gauche-là ne se reconnait plus aucune marge de manœuvre. Ce fatalisme est perçu négativement par la population et nourrit l’extrême droite. La gauche radicale souhaite, elle, prendre ses responsabilités pour imposer des choix politiques à certaines fractions sociales, notamment au patronat. On veut des élus qui sachent prendre des décisions.

Q - Le fossé s’est-il creusé entre les deux gauches cette dernière décennie ?

D. L. - Oui. La grande rupture date en fait de 1982, avec le tournant de la rigueur à l’occasion du plan Delors I. Dans la programme « Changer la Vie », il y avait encore des idées - comme la contrôle du crédit permis par la nationalisation des banques. Elles n’étaient peut-être pas portées jusqu’au bout, mais, au moins, le PS avait des idées.

Q - Plus récemment, avez-vous le sentiment que le ton est monté ?

D. L. - Le mécontentement des gens s’est cristallisé par un vote LCR et LO, surtout depuis 1995. Face à ce nouveau phénomène, qui n’est d’ailleurs pas achevé, qui n’a pas encore de contours organisationnels, les forces d’en face sont obligées de répondre. D’où les récents livres du PS sur les trotskystes. Nous mépriser, c’est déjà reconnaître que nous existons.

Q - Comment expliquez-vous le succès nouveau de la LCR ?

D. L. - Longtemps, le PCF a occupé une place à part. Certes, depuis 1945, le PC n’a pas rechigné à faire cesser des grèves, à faire accepter la guerre d’Algérie, à arrêter Mai 68. Il n’est jamais allé jusqu’au bout de sa volonté - prétendue - de rompre avec le capitalisme. Mais il a longtemps conservé un écho de masse. Sa collaboration avec le PS, sa participation au gouvernement, le choc de 1989 ont réduit son influence. Depuis 1989, les gens ont pris conscience que le système ne fonctionnait toujours pas pour des milliards de personnes et que les problèmes planétaires, par exemple militaires ou environnementaux ne faisaient que s’aggraver. Ceux qui en avaient pris conscience ont recherché des débouchés politiques. Beaucoup se sont retrouvés aux côtés de la LCR.

Q - Quelle est votre interprétation du 21 avril ?

D. L. - Il y a eu selon moi deux facteurs. D’une part, la ligne politique de la campagne socialiste (incapacité à combattre le discours sécuritaire, absence de volontarisme économique) a donné l’impression d’une absence de véritable opposition entre Chirac et Jospin. C’est lié plus généralement à l’inaptitude des grands mouvements politiques à donner des perspectives politiques de long terme en proposant un projet politique mobilisateur, et à leur apparente impuissance à changer les choses, en partie du fait de dépossessions auxquelles eux-mêmes ont consenti, comme l’indépendance de la BCE. Cela a conduit les électeurs à rechercher une alternative radicale, surtout à l’extrême droite. D’autre part, le résultat du premier tour s’explique par la nature du régime (présidentialisme, bipartisme) qui n’est plus contesté par les grands partis mais dans lequel les gens ne se reconnaissent pas.

Q - Avez-vous été choqué par le 21 avril ?

D. L. - Bien sûr. D’abord parce que nous considérons Le Pen comme un fasciste. Ensuite, mais c’est très secondaire, parce que le passage de Le Pen au second tour a totalement a occulté le bon score réalisé par la gauche trotskyste. Enfin, les résultats nous ont rappelé que lorsque nous faisons un bon score, c’est une pointe, tandis que les bon scores de FN correspondent à une implantation beaucoup plus profonde et régulière.

Q - Vous jugez-vous responsables de la défaite de Lione Jospin ?

D. L. - C’est un mauvais procès que nous font les socialistes. N’oublions pas que c’est à cause de leurs propres insuffisances que nous existons. Ce n’est donc pas à nous qu’il faut s’en prendre. Est-ce notre faute si le FN s’est développé ? Il s’est développé lorsque les socialistes étaient au pouvoir. Soit dit en passant, tous les socialistes ne l’ont pas vu d’un mauvais œil.

Q - Parlons maintenant de vos relations avec les autres poles de la gauche critique. Quelle est votre opinion sur les groupes suivants :

ATTAC ?

D. L. - Nous sommes amis. Mais ils doivent rester une association, un foisonneur d’idées. Des membres d’ATTAC vont présenter quatre listes aux européennes. C’est la pire des choses qui pouvait se produire. Ceux qui font cela sont des incendiaires qui risquent de dénaturer ATTAC.

Q - AC ! ?

D. L. - Leur action est très utile, mais, à la limite, une telle organisation ne devrait pas avoir à exister. Il est dommage que les chômeurs ne soient pas suffisamment pris en charge par les syndicats de salariés.

Q - La Confédération paysanne ?

D. L. - C’est très bien qu’une fraction de la paysannerie se mobilise comme le fait la Confédération paysanne, pour le Tiers Monde et la protection de l’environnement. Mais - c’est un avis personnel - un projet axé sur la défense des petits paysans me gêne. Ils me rappellent les premiers verts. D’autant que, à y regarder de près, ils sont un peu courts sur leur projet.

Q - La Fondation Copernic ?

D. L. - Un certain nombre de camarades y participent à titre d’experts. D’autre tendances y sont représentées. C’est normal. Il faut que ce genre de mouvement soit pluriel et ne soit inféodé à aucun parti en particulier. La déclaration sur la Sécurité Sociale résulte ainsi d’un compromis entre la position du PC (faire payer le capital) et notre position (faire payer les patrons par les cotisations). C’est un équilibre un peu bancal, mais qui n’est pas sans mérite.

Q - SUD ?

D. L. - Nous sommes proches mais je trouve que leur réflexion est insuffisante sur ce que devrait être le syndicalisme aujourd’hui. Mais je sais pour être syndicaliste moi-même que le temps pris par le fonctionnement laisse peu de temps pour réfléchir.

Q - La CGT ?

D. L. - Ils restent le premier syndicat et le dernier syndicat de masse. Mais leur évolution est très inquiétante. Le rapprochement avec le PS s’est manifesté à travers leur position sur les retraites, et sur leur accord avec le Haut Conseil sur la réforme de la Sécu. Ce début de recentrage est très préoccupant.

Q - LO ?

D. L. - Les circonstances nous poussent à nous entendre. À long terme il faudra trouver les modalités d’une alliance plus resserrée, suivant une formule originale, ouverte et respectueuse des différences.

Q - Le PCF et les Verts sont-ils à ranger définitivement dans la catégorie « gauche de gouvernement » ?

D. L. - Les Verts sont probablement voués à l’éclatement. Ils resteront d’autant plus forts que nous aurons de difficultés à formuler un programme mobilisateur pour la gauche radicale.
Quant au PCF, il est capable de faire de bonnes campagnes, notamment avec Marie-George Buffet, qui a récupéré bon nombre de nos mots d’ordre. À moyen terme, je crois néanmoins que la PC est historiquement condamné. On pensait que des morceaux s’en détacheraient pour le refonder. Cela n’a pas lieu. On a l’impression qu’il pourrit littéralement sur pieds.

Q - Par l’image qu’en donnent les media, vos relations entre la gauche de gouvernement ont l’air très mauvaises. N’y a-t-il pas tout de même des relations officieuses entre dirigeants ?

D. L. - Nos relations sont effectivement très mauvaises. Bien sûr, nous avons des contacts au niveau de la base. À FO, je milite avec beaucoup d’adhérents du PS. Mais pas de rencontres officieuses entre dirigeants.

Q - Parmi les dirigeants du PS, de qui vous sentez-vous le plus proche ?

D. L. - De personne. Je ne supporte pas l’embourgeoisement de la fonction politique, surtout de la part de la gauche. Ceux qui m’insupportent le plus sont ceux qui se prétendent à la gauche du PS pour se légitimer, comme Julien Dray.

Q - Quel regard portez-vous sur les expériences de rapprochement entre la gauche de gouvernement et des éléments associatifs de la gauche critique (les Motivé-e-s à Toulouse, la liste de Georges Frêche en Languedoc-Roussillon, la liste de François Simon en Midi-Pyrénées) ?

D. L. - Je pense que ceux qui s’allient au PS ont tort. Je préfèrerais bien sûr qu’ils s’allient avec nous. Cela dit, je comprend pourquoi ils ne le font pas : nos propres erreurs nous empêchent de représenter une alternative crédible.

Q - Vous tenez absolument à maintenir l’étanchéité en dépit de la volonté manifestée par certains éléments de la LCR de se rapprocher de la gauche de gouvernement (par exemple, la volonté de certains de figuer sur la liste du PCF aux européennes en 1999). Pourquoi ?

D. L. - La politique de « front unique » repose sur l’idée que l’influence du PS restera dominante et que, partant, la meilleure des options est de s’arrimer à lui. Or, si les gens votent PS, c’est parce que nous n’arrivons pas à nous affirmer nous-mêmes, à nous poser comme les acteurs d’une véritable alternative.

Q - Alain Krivine a lancé le 6 mai un appel à l’unité des partis de gauche et d’extrême gauche pour lutter contre le changement de statut d’EDF. Est-ce un revirement de stratégie ?

D. L. - Pas du tout. Nous avons toujours eu cette ligne. Toute unité programmatique dans une optique de gouvernement, même à l’échelon local, est illusoire. En revanche, des mobilisations communes sont possibles, ponctuellement, sur un thème déterminé. Peu importe que le PS soit sincère ou non, si nous pouvons nous rassembler pour combattre plus efficacement, il faut le faire. Autre exemple : puisque le PS évolue sur le mariage homosexuel, il n’est pas inenvisageable que, un jour, nous manifestions ensemble.

Q - Si demain matin, un responsable du PS vous invite ainsi que d’autres cadres de la LCR à participer à des séminaires et des journées d’étude pour confronter vos idées avec les leurs, accepterez-vous ?

D. L. - Il faut qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur l’objectif. Il faut éviter toute récupération politique. Vous avez sans doute remarqué que le PS nous a témoigné soudainenement de l’intérêt à quelques semaines des élections régionales et européennes... C’est tout de même suspect. Il faut aussi que l’objectif ne soit pas d’aggraver la confusion politique en empêchant de distingner entre des opinions différentes. Cela ne doit pas conforter la bouillie politique dans laquelle nous baignons. Je rappelle qu’à notre université d’été, ils étaient tous invités. Qu’ils nous invitent, pourquoi pas ?

P.-S.

Cet entretien a été réalisé par L. MARTEL et N. SÉJOUR au siège parisien de la LCR. Il a été relu et validé par M. LARCHET, paru sur le site Dialogue des gauches, le 12 mai 2004.

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