L’internationalisme

, par LÖWY Michael

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L’internationalisme prolétarien est une des idées-force les plus importantes du « Manifeste » : ce n’est pas un hasard si les derniers mots de ce texte, « Prolétaires de tous les pays unissez-vous », sont devenus le signe de ralliement du courant marxiste dans le mouvement ouvrier. L’internationalisme n’est pas, pour Marx et Engels, seulement un élément clé de la stratégie du mouvement socialiste : il est aussi l’expression de leur humanisme révolutionnaire, pour lequel l’émancipation de l’humanité toute entière est la valeur suprême et le but final.

Il est vrai que certains passages du « Manifeste » pêchent par économisme et par un certain optimisme libre-échangiste, comme par exemple dans la suggestion que la prolétariat victorieux ne fera que continuer l’oeuvre d’abolition des antagonismes nationaux commencée par le marché mondial... L’expérience historique - notamment de l’Irlande - apprendra bientôt à Marx et à Engels que le règne de la bourgeoisie et le marché capitaliste ne font qu’aggraver les conflits nationaux.

Marx essayera de donner une expression organisée et concrète à l’internationalisme prolétarien par la fondation de l’Association Internationale des Travailleurs. Les Internationales ouvrières et socialistes successives - de la IIe à la IVe - se réclameront de cet héritage, mais elles connaîtront des crises, des enlisements bureaucratiques ou l’isolement. Il n’empêche qu’on a pu assister, dans les premières années qui ont suivi la Révolution d’Octobre, et plus tard, autour des Brigades Internationales en Espagne, à l’essor d’une puissante vague de solidarité internationale. Plus récemment, dans le mouvement de soutien à la révolution vietnamienne, ou dans les luttes de l’année 1968, on a pu assister, notamment au sein de la jeunesse, à une résurgence de l’internationalisme.

Aujourd’hui, plus que jamais, les problèmes les plus urgents de l’époque sont internationaux. Les défis représentés par la globalisation capitaliste, par le jeu incontrôlée des marchés financiers, par la dette du tiers-monde, ou par la dégradation croissante de l’environnement - pour ne citer que quelques exemples - exigent des solutions planétaires.

L’ancien internationalisme des « blocs » ou « Etats-guides » est mort et enterré. Il existe néanmoins les germes d’un nouvel intrernationalisme, indépendant de tout Etat ou bloc militaire. D’une part, certains courants du mouvement ouvrier, que ce soit en Europe ou dans le Tiers-Monde, cherchent à renouveler la tradition de l’internationalisme prolétarien. D’autre part, des sensibilités internationalistes nouvelles se font jour dans certains mouvements sociaux à vocation planétaire (féminisme, écologie), dans les mouvements européens anti-racistes et de solidarité avec le Tiers-Monde, dans des ONG qui se battent pour les droits de l’homme.

C’est de la fusion entre la tradition classiste - socialiste, communiste ou libertaire - et anti-impérialiste des premiers, avec les nouvelles exigences humanistes, écologiques et démocratiques des seconds que pourra surgir l’internationalisme du 21e siècle.

P.-S.

Article paru dans Espaces Marx. Notes préliminaires en vue d’une rencontre internationale Le Manifeste communiste, 150 ans après : quelle alternative au capitalisme ? quelle émancipation humaine ?, archives de 1998.

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