- Olivier Besancenot à Montreuil, le 10 octobre 2016, au siège du NPA.
- © Photo Audoin Desforges pour Libération.
La journée se termine pour Olivier Besancenot. Sortant de la Poste, son employeur, il s’installe dans une brasserie près de la porte de Saint-Ouen, dans le nord de Paris. Tranquille. Le visage du NPA, le Nouveau Parti anticapitaliste, ne sera pas candidat à la présidentielle de 2017. Il argumente : « Je l’ai fait deux fois, et chez nous ça tourne. » Comme en 2012, ce sera Philippe Poutou. Un second rôle qui ne l’empêche pas de rester sous la lumière. Tout au long de l’entretien, Olivier Besancenot revient sur les mobilisations du printemps, tape sur les débats imposés sur l’identité et met en avant ses envies de révolution.
Le printemps a été agité, avec la mobilisation contre la loi travail et le mouvement Nuit debout : qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
L’idée que la société française ne vivait pas dans une bulle coupée du reste du monde s’est rappelée à nous. Il y a eu un engouement partagé par des dizaines de milliers de personnes, qui ont fait de la politique au sens noble du terme, sans entrer nécessairement dans une organisation ou un parti. Et elles y ont pris goût. La politique qui pousse le mieux pousse souvent au ras du sol. Le peuple ne croit plus à la politique institutionnelle ou à la politique professionnelle : elles sont moisies, ont des toiles d’araignées sous les bras. Jusqu’à peu, ceux qui voulaient exprimer le fait qu’ils ne font plus la différence entre la gauche et la droite le faisaient savoir en votant Front national. Avec les mouvements du printemps, pour la première fois, une expression de gauche a formulé ce rejet.
Mais le Front national est toujours aussi haut dans les urnes et les sondages…
Le FN laboure le terrain depuis des années. Nous avons pris du retard. Pendant longtemps, le mouvement social a été freiné par l’idée qu’on ne pouvait pas réserver le même sort à un gouvernement de gauche qu’à un gouvernement de droite, même s’il menait la même politique. Les curseurs ont mis du temps à bouger. Dorénavant, une coupure irrémédiable s’est opérée avec le PS car deux lignes rouges ont été franchies : la déchéance de nationalité sur les questions morales, la loi travail sur le plan social. Certains sont descendus dans la rue avec le slogan « Je n’ai pas voté pour ça ». Le problème consiste aujourd’hui à raccorder le temps social et le temps politique, qui tardent à se retrouver. Cela veut dire construire des choses nouvelles à partir de ces mobilisations. On ne peut pas être que dans l’opposition. Il faut créer un espace qui nous soit propre, se poser et discuter de nos aspirations communes avec, comme projet stratégique, la nécessité pour notre camp social de se représenter soi-même.
Depuis la rentrée, Nuit debout peine à se relancer et le mouvement contre la loi travail semble terminé…
(Il coupe) Une mobilisation n’est pas figée. Et la maturité de ce mouvement, c’est qu’il a été amené à revoir ses modalités d’actions. Il y a eu une séquence de mobilisation sur les places, et quand elles se sont vidées, la séquence de la grève reconductible, avec l’objectif de bloquer l’Euro de foot, a pris le relais. La mobilisation est globale. Elle est faite de grèves, d’occupations, d’actions, de manifestations. Penser que le mouvement du printemps est parti dans les sables est une erreur. Le climat général reste. La volonté de convergence des luttes aussi. Contre la répression, par exemple, aux côtés des Goodyear mercredi et jeudi [lors du procès en appel à Amiens de huit anciens salariés condamnés à de la prison ferme pour avoir séquestré deux de leurs dirigeants alors qu’ils s’insurgeaient contre la fermeture de leur entreprise, ndlr]. La classe politique ne va pas nous endormir éternellement en instrumentalisant la peur, avec les menaces d’attentats et les débats sur l’identité.
Aujourd’hui, la question de l’identité est pourtant en première ligne et risque d’irriguer toute la campagne…
C’est la misère qu’il faut traquer, pas les immigrés ou les musulmans. Aujourd’hui, pour la majorité de la classe politique, la chose est entendue : on ne peut pas accueillir toute « la misère du monde » et « l’immigration est un problème ». On part du constat faux que l’on vivrait sous un flux migratoire envahissant, alors que les chiffres démontrent le contraire. La France est en dessous de la moyenne européenne sur l’accueil des réfugiés au titre du droit d’asile. Et la proportion d’immigrés est stable depuis un siècle, c’est-à-dire entre 7 % et 10 % de la population. Face à ce rouleau compresseur idéologique, il faut tenir et affirmer des mesures fortes, comme la régularisation des sans-papiers, la liberté de circulation et d’installation, quitte à aller à rebours de l’air du temps.
Mais le débat sur l’identité résonne également à la gauche du gouvernement…
C’est vrai, il y a une petite musique à la gauche de la gauche qui finit par nous faire tiquer. On entend parler de souverainisme, de protectionnisme, en jurant sur tous les tons qu’il ne s’agit de le faire que sur les questions économiques. De fil en aiguille, d’aucuns en arrivent à dire qu’ils sont contre la liberté d’installation. Et que si on veut qu’il y ait moins d’immigrés, il faut les empêcher de partir de chez eux. Ce qui revient à dire que dans ce monde, certains auraient le droit de bouger et d’autres pas. Or personne n’est autorisé à dire à quelqu’un « je t’accorde ou pas le droit de bouger sur cette terre ». Reproduire ce schéma, c’est perpétuer la relation dominant-dominé, car le dominant n’imagine jamais qu’en retour on puisse l’empêcher de circuler librement.
On comprend que vous parlez de Jean-Luc Mélenchon, qui est contre la liberté d’installation. Vous avez été surpris par ses déclarations ?
Surpris, je ne sais pas, mais en désaccord, oui. On lance un appel à toute la gauche radicale : ne tombons pas dans le piège de l’identité close et refermée sur elle-même. Le poète antillais Edouard Glissant disait : « Les identités fixes deviennent préjudiciables à la sensibilité de l’homme contemporain… » Il lui opposait l’identité-relation, « l’identité rhizome ». Avec Philippe Poutou, nous voulons faire campagne en mettant en avant les identités communes, en partant de la question sociale. De ce point de vue, sa candidature est plus légitime que celle de Hollande et Sarko réunis. Lui saura au moins de quoi il parle quand il s’agit d’évoquer nos vies quotidiennes.
Vous croyez encore à la révolution, au Grand Soir ?
Bien sûr, plus que jamais, je suis un militant révolutionnaire.
Quelle est votre définition de la révolution ?
Personne ne peut pronostiquer sa forme exacte. Une révolution revient à abattre la cloison que la classe politique a construite dans le but d’empêcher des millions d’anonymes de s’immiscer dans leurs propres affaires. Aujourd’hui, qui veut encore entendre parler de politique ? On est tous écœurés. Pendant ce temps, ils continuent leur petit business fructueux : c’est tout bénef pour eux car ils nous maintiennent à distance. Des brèches ont fissuré cette cloison ces derniers mois et il faudra bien abattre entièrement ce mur un jour où l’autre. Ce qui s’est passé ces derniers temps nous a regonflés à bloc. Nous avons la preuve, qu’ensemble, nous pouvons faire trembler les politiciens professionnels.
Une révolution sans violence, c’est possible ?
Tout dépend de la contre-révolution. Ce qui n’existe pas, ce sont les contre-révolutions pacifiques. Dans un processus d’émancipation, il y a toujours une confrontation avec une minorité qui refuse de mettre fin à ses privilèges. Mais plus le nombre répondra présent, plus la révolution sera pacifique. Je le dis sans aucune provocation : les partisans de la violence sont en haut.
Durant les mobilisations du printemps, la violence a été très forte, vous en êtes conscient ?
Comme tous, je me serais bien passé de respirer du gaz lacrymo pendant des mois : j’ai passé l’âge. La violence nous a été imposée. Et on sous-estime le tournant qui a été pris. Les manifestations du mouvement ouvrier ne seront plus jamais les mêmes. Durant les rassemblements contre la loi travail, on a été amenés à manifester parqués dans un corridor sous haute surveillance. On ne pouvait plus accéder aux cortèges, il y avait des barrages filtrants. La violence contre les manifestants ne se résume pas aux coups de matraque, c’est aussi ce tournant politique autoritaire qui a été pris. Vu l’ambiance du moment, ce n’est pas la droite et l’extrême droite qui reviendront sur ce type de mesures.
Il y a eu également de la violence du côté des manifestants…
Les affrontements avec la police et les vitrines cassées ne sont pas une innovation du XXIe siècle. Tout cela est vieux comme le sont les luttes. Les plumes de la pensée unique et autres éditorialistes, post-soixante-huitards, nouveaux pères fouettards, seraient bien inspirés en repensant à leurs jeunes années. La violence a souvent été instrumentalisée par les gouvernants. Les conditions des débordements ont été créées sciemment. On a capté très vite que tout était mis en œuvre pour que cela parte en vrille : une omniprésence policière, au contact constant des manifestants, ne pouvait générer, dès lors, que ce type de résultat. Et quand ça pète, les images tournent en boucle sur tous les écrans. Le soir, sur les plateaux télé, les soutiens au mouvement ne sont plus confrontés qu’à une seule question : « Vous condamnez les violences ? » Pendant ce temps, on ne parle plus du fond.
La prochaine présidentielle vous donne-t-elle un motif d’espérer ?
La crise politique ne sera pas réglée avec l’élection du prochain président de la République. Ma conviction, c’est que le dispositif de la Ve République ne tiendra pas éternellement. C’est devenu un canard sans tête qui continue à marcher. La marmite est en ébullition et, pour toute réponse, la caste dominante veut maintenir le couvercle par la force. Tôt ou tard, cela débordera. Quand ? Comment ? Personne ne peut le savoir, mais il y aura forcément un dénouement. C’est impossible qu’avec un tel niveau de tension, il n’y ait pas de rebondissements.
Quand Manuel Valls parle de deux gauches irréconciliables, êtes-vous d’accord avec lui ?
C’est à peu près le seul point en commun que j’ai avec Manuel Valls, même si c’est difficile de lui attribuer le label de gauche. Mais, bon, on n’est pas propriétaires des étiquettes et s’il a envie de se revendiquer de gauche, qu’il le fasse. En tout cas, on est vraiment irréconciliables.
Quels sont vos alliés à gauche ?
Tous ceux et celles que l’on retrouve dans les combats du quotidien, dans les luttes, de la loi travail à Notre-Dame-des-Landes, de Calais à Nuit debout, des entreprises aux quartiers populaires : des militants, avec ou sans partis, associatifs, syndicalistes… Nous sommes nombreux à résister contre l’ordre du capital et à nous sentir orphelins d’une nouvelle forme de représentation politique. Ce n’est pas en recollant les vieux morceaux qu’on va faire du neuf. Mais on ne fera pas du neuf qu’à partir du neuf. Il faut repartir du bas, et fédérer toutes les forces anticapitalistes. C’est le sens de notre campagne. Si le pouvoir vient d’en bas, tout le monde comprendra très vite que personne n’est indispensable pour parler au nom des autres, même dans notre propre camp. Et, à partir de là, on pourra avancer.
Une photo, un objet
À la séance photo, au siège du NPA, une imprimerie à Montreuil (Seine-Saint-Denis), Olivier Besancenot refuse de poser avec un objet. Après négociation, il prend une affiche. Celle qui décorait les murs de Paris durant la mobilisation contre la loi travail.
Les premières fois du prochain président
Sa première décision. Interdire le cumul et organiser la rotation des mandats. C’est-à-dire, pas plus de deux mandats dans la vie d’un élu.
Son premier voyage officiel. À Kobané, au Kurdistan, pour soutenir le PKK qui est coincé entre Al-Assad, le groupe Etat islamique et le régime totalitaire de Erdogan.
La première personne qu’il recevra à l’Elysée. La famille d’Adama Traoré.
Le premier déplacement dans le pays. L’endroit où bosse Philippe Poutou, l’usine Ford à Bordeaux.
Le premier grand discours. Il n’y aura pas de premier grand discours, ce sera une première grande assemblée générale.