- On a l’impression que les organisateurs des manifestations n’étaient pas du tout préparés à des confrontations violentes.
Effectivement, nous n’imaginions pas une telle confrontation. Nous nous étions préparés à des scénarios du type de ce qu’on avait vu à Nice (décembre 2000) ou à Québec au printemps. Dans les deux cas, la police tenait une zone rouge et évitait soigneusement de circuler en ville. Les forces de l’ordre avaient réussi à tenir sans trop de violence en ville, hormis quelques vitrines brisées à Nice. Nous pensions que le gouvernement italien adopterait une double attitude : freiner au maximum l’arrivée des manifestants, notamment aux frontières, ensuite dialoguer avec eux. Mais dès la semaine précédant le G8, l’atmosphère a changé. Les bombes reçues et non revendiquées, les milliers de contrôle d’identité en ville nous ont fait comprendre qu’on allait plutôt vers une stratégie de la tension. Le vendredi matin, le décor était posé : des murailles de conteneurs, des blindés et une présence policière folle. Les choses ont empiré lorsqu’on a vu les « Blacks Bloc » [1] circuler librement alors que les policiers s’attaquaient très durement aux cortèges les plus pacifiques.
- Ce changement de tactique policière signifie-t-il une autre attitude des Etats vis-à-vis de ce genre de manifestations ?
On ne peut pas croire à un simple affolement policier, notamment pour ce qui concerne la rafle du centre de presse. Certains, parmi nous, croient effectivement qu’entre Göteborg et Gênes, une ligne rouge a été dépassée et que la violence en Italie marque la volonté des Etats occidentaux, dont les polices se coordonnent, de mettre un terme à la contestation contre la mondialisation libérale. Personnellement, je pense qu’il vaut mieux considérer que le gouvernement Berlusconi a voulu faire un « coup politique » en mettant en scène la violence. Le réflexe sécuritaire aurait pu souder son électorat. Le coup s’est retourné contre lui, en Italie, comme les sondages le montrent.
- D’autres rendez-vous antimondialisation se profilent, comme à Bruxelles en décembre. Quelle attitude allez-vous adopter ?
Il faut continuer ce que nous avons quand même réussi à Gênes : différencier qui fait quoi, les manifestants et les « Black Bloc », par les lieux occupés et les formes d’action. Qu’il soit bien clair que nous c’est nous, et qu’eux c’est eux. Mais ce sont d’abord les forces de l’ordre qui ont la clé. Si elles ont décidé que cela doit dégénérer, aucun service d’ordre n’y peut rien. Au-delà, les gouvernements doivent offrir des réponses politiques. Jospin et Chirac ont chacun déclaré qu’il fallait nous écouter, on aimerait qu’ils apportent des réponses à nos questions.