Réseaux sociaux : public, privé, ou entre les deux ?

, par AGUITON Christophe

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« Nous sommes plus concernés par ce que peuvent savoir nos proches que par ce que peuvent collecter l’État ou les entreprises. »

C’est le premier constat fait par les quatre intervenants pendant la conférence, “Is Privacy Dead or Just Very Confused ?” organisée par Danah Boyd (voir aussi ici), sociologue américaine connue pour ses analyses sur les réseaux sociaux de l’Internet. C’est le cas des adolescents qui craignent avant tout que leurs parents suivent de trop près leur vie sur le Net et ne se soucient guère des entreprises, de l’État ou de « mauvaises rencontres » issues de sphères lointaines et inconnues, mais c’est aussi le cas de tous ceux qui ne veulent pas voir leur employeur, leur responsable hiérarchique ou même leurs enfants suivre de trop près leurs profil ou « news feed » sur Facebook ou tout autre réseau social sur Internet.

Ce constat ne règle pas, pour autant, la question de la collecte des données par les institutions ou compagnies. Siva Vaidyanathan, professeur associé à l’Université du Texas, a rappelé que la question était posée depuis des décennies, et que le contexte économique, et surtout politique, était déterminant. Aux États-Unis une série de lois ont été votées entre 1973 et 1976, à la suite du scandale du Watergate, lois qui fixaient des limites strictes à la collecte et aux croisements de fichiers par les organes de sécurité et autres institutions publiques. Par extension, ces règles se sont appliquées aux entreprises et à leurs fichiers [1].

Pour Siva Vaidyanathan, l’absence de contrôle, aux Etats-Unis, sur la collecte d’informations par les entreprises du Web, s’explique aussi par le contexte dans lequel l’État et les organismes de sécurité se sont affranchis des règles antérieures au nom de la lutte contre le terrorisme. À son avis, il faudrait à nouveau prendre conscience de la nécessité de respecter le vie privée et de limiter la possibilité de stocker et croiser les données personnelles en établissant une hiérarchie des exigences : pour des entreprises en situation de concurrence, comme Amazon, chacun peut s’adresser à une autre fournisseur s’il ne veut pas laisser l’entreprise utiliser ses données pour améliorer son service, pour les États en revanche les exigences doivent être plus grandes, avec un cas intermédiaire, Google, qui est en train d’atteindre la position d’un monopole de fait.

Judith Donath, du MIT, a replacé le débat en le situant au croisement de deux évolutions. La première est le passage du village ou de communautés dans lesquelles il n’existait quasiment aucun espace privé, à une vie urbaine où chacun peut réinventer sa vie et la construire avec des profils différents. La deuxième évolution est le fait que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, tout est ou peut être enregistré, ce qui rend très difficile le maintien de l’étanchéité entre les différentes faces de son existence. Tout cela peut sembler inquiétant, mais Judith Donath émet un pronostic plus optimiste : la diversité des comportements, des goûts et des style de vie tels qu’ils apparaissent grâce au Web relationnel est si large quelle conduira nos sociétés à un niveau de tolérance et d’ouverture très élevé.

Pour revenir au niveau de l’individu et de ses relations à ses proches, Alice Marwick (voir son blog ici), doctorante à l’Université de New York, insiste sur l’importance du contexte dans lequel une information est produite et partagée. Tout le monde refuse que ce qui est dit à son médecin soit diffusé publiquement ou que des confidences sentimentales auprès de sa meilleure amie soient publiées dans Facebook. Par extension, il faut pouvoir respecter ces différences de contexte quand on a accès à des contenus diffusés sur Internet.

Poursuivant la même idée, Judith Donath prend l’exemple d’un restaurant où, si l’on entend ses voisins parler d’un film ou d’un livre, on ne se permet pas d’intervenir dans la conversation. Reste à savoir si cette éthique du comportement sera suffisante ou s’il faudra durcir la protection de cette zone grise entre le public et le privé...

La « micro-célébrité » a été le dernier thème de cette conférence. Danah Boyd (ci-contre) a rappelé le caractère inégal de la relation qui lie une star et son public de fans en se demandant si on retrouvait la même inégalité dans la micro-célébrité qui existe sur le Web où des millions de personnes acquièrent une notoriété grâce à leur blog ou leurs activités sur Facebook ou Twitter. Judith Donath et Alice Marwick considèrent que les mécanismes y sont les mêmes et que si chaque publication sur le Web est une occasion d’amplifier la reconnaissance dont une personne peut bénéficier, c’est aussi une vulnérabilité qui s’accroit : se mettre en lumière est aussi se mettre en péril !

P.-S.

Article paru sur le blog Austin, Babel Web.
Photos : © xpomicron sur Flickr.

Notes

[1Le débat a eu lieu en France dans des termes très comparables, la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) ayant été créée en 1978 par une loi qui a été votée après le scandale du fichier « Safari ».

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