- Vous avez tenu ce week-end, à Bruxelles, des assises préparant les « marches contre le chômage, la précarité et l’exclusion » qui se dérouleront du 14 avril au 14 juin dans toute l’Europe. L’objectif ?
Dans tous les pays d’Europe, nous constatons les mêmes ravages : montée du chômage et de la précarité, régression des acquis sociaux, répression des sans-papiers, montée du repli sur soi et du racisme. Chômeurs et salariés, précaires et retraités, sans-logis, jeunes et immigrés, nous marcherons ensemble pour exprimer notre révolte contre le chômage de masse. Celui-ci n’est pas une fatalité, mais le résultat d’orientations politiques et économiques adoptées par l’Union européenne.
Les différents itinéraires, dont les trois marches qui se retrouveront à Bruxelles le 28 mai, convergeront le 14 juin vers Amsterdam, où se tiendra la Conférence intergouvernementale. Les marcheurs se regrouperont autour de la Banque nationale hollandaise, dont le dernier étage sera le siège, ô combien symbolique, du sommet européen.
- Que revendiquez-vous ?
Le droit de chacun à avoir un travail et un revenu décent. Associations de chômeurs et syndicats se prononcent largement pour une réduction du temps de travail généralisée préservant les revenus. Il n’est pas question de répondre au chômage par la flexibilité et la dérégulation. Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, où la suppression du salaire minimum provoque la précarité, on préfère mettre l’accent sur le plein emploi. Nous exigeons aussi la création d’emplois dans les services sociaux, l’éducation, la santé.
Comme revendications urgentes, nous mettons en avant le droit au revenu minimum, au logement, à la gratuité des transports publics pour les chômeurs, à la fourniture de gaz et d’électricité pour les exclus.
- Rares sont les manifestations où l’on voit apparaître des chômeurs. Comment comptez-vous les faire passer à l’action ?
Les chômeurs vivent dans l’isolement, la culpabilisation. Ils ont les plus grandes peines du monde à s’assumer comme mouvement social autonome. À l’inverse, les salariés, regroupés dans leur lieu de travail, ont conscience de la légitimité de leurs luttes. L’existence d’associations de chômeurs a permis, de longue date, aux sans-travail français de se sentir représentés, de prendre conscience de leurs droits, de revendiquer d’être des acteurs sociaux à part entière.
Dans d’autre pays, comme l’Irlande, les organisations de chômeurs, initialement liées aux syndicats, ont pris une existence propre lorsque la durée du chômage s’est allongée. Les marches européennes permettront aux chômeurs, qui y participeront aux côtés de salariés, d’affirmer leur identité, de faire progresser leurs revendications.
- D’où vient votre mouvement ? S’oppose-t-il aux organisations syndicales traditionnelles ?
Pas du tout. Une des chevilles ouvrières de la marche, AC (Agir contre l’exclusion), s’est créée en France en 1993. Elle lie des associations de chômeurs et des syndicats ou des secteurs syndicaux : la FSU (enseignement), Sud, la gauche de la CFDT, la Confédération paysanne. AC est née de l’appel de 50 syndicalistes, 50 chômeurs, 50 intellectuels, dont Pierre Bourdieu, qui ont exprimé leur refus du chômage et du néo-libéralisme. En 1994, des marches contre le chômage ont traversé la France. Après quoi, nous avons participé à des « opérations revenu », réquisitionnant des logements ou... des emplois, en envoyant des chômeurs réclamer du travail, en accord avec les salariés, dans les entreprises affichant de gros profits.
Nous avons aussi participé au mouvement des sans-papiers mettant l’accent sur la dimension sociale de l’immigration, à l’heure où le plus fort potentiel électoral de l’extrême-droite se trouve parmi les chômeurs et les salariés.
Des marches contre le chômage se sont déroulées dans d’autre pays : la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne. Dans toute l’Europe, les luttes contre l’exclusion font tache d’huile. Il s’agit de coordonner tous ces courants.
- Qu’attendez-vous de ce rendez-vous d’Amsterdam ? Aucune manifestation n’a jamais corrigé le tir d’un sommet européen...
Il s’agit de manifester réellement notre colère, pas seulement d’être reçus par un délégué des chefs d’État et de gouvernement. Au-delà, notre mouvement pluriel de chômeurs et de salariés veut jeter des ponts entre des organisations comme le Réseau européen contre le chômage ou la Confédération européenne des syndicats. Pour les renforcer, pas pour les doubler. Il faut cesser de cloisonner les luttes et les citoyens.