Ouest-France : À quoi va servir ce Forum social européen ?
Christophe Aguiton : Nous allons d’abord tirer le bilan des différentes mobilisations qui ont eu lieu récemment en France, contre la réforme des retraites, contre la réforme du régime social des intermittents du spectacle, contre la guerre en Irak. Puisqu’il s’agit d’un forum international, nous allons aussi regarder ce qui s’est fait ailleurs, parfois sur les mêmes thèmes. L’intérêt est de voir ce que ces mobilisations ont en commun pour pouvoir mieux travailler ensemble dans le futur.
Ouest-France : Mais pour aller vers quoi ? La mondialisation libérale n’a-t-elle pas déjà imposé sa loi partout dans le monde ?
Christophe Aguiton : Elle s’imposera sans coup férir que si nous laissons les choses aller en l’état. Mais nous n’y sommes pas résignés. C’est pour cela que nous construisons des mobilisations. Nous apportons deux types de réponses. Au niveau mondial, nous nous battons pour empêcher les guerres unilatérales comme celle que nous avons connue en Irak. Nous voulons aussi imposer une autre répartition des richesses, par exemple en annulant la dette des pays du tiers-monde ou en empêchant le Fonds monétaire international (FMI) de mettre en oeuvre des politiques qui aboutissent à la crise, comme on l’a vu en Argentine. Au niveau européen, nous travaillons à l’émergence d’une Europe sociale qui garantisse des minimas sociaux, qui respecte les droits démocratiques des immigrés, qui donne aux femmes les meilleures chances d’être les égales des hommes, qui défende des règles environnementales vraiment contraignantes. Nous ne gagnons pas sur tout, mais nous marquons des points régulièrement. Aujourd’hui, on nous écoute.
Ouest-France : Votre objectif est de changer le système ou de l’aménager ?
Christophe Aguiton : Notre rassemblement est très large. On y trouve aussi bien des mouvements réformistes ou régulationnistes que des mouvements de transformation plus radicaux. Nos avis diffèrent parfois, mais nous som-mes tous d’accord pour dire que la mondialisation libérale qu’on nous propose aujourd’hui aboutit à une impasse absolue. Nous ne prônons pas pour autant un retour chacun chez soi, dans des États nationaux refermés sur eux-mêmes. Notre conviction est qu’une autre mondialisation est possible. D’où notre nom d’altermondialistes.
Ouest-France : Votre plus grand ennemi n’est-il pas le pessimisme ambiant ?
Christophe Aguiton : Entre mai 2002 et mai 2003, nous nous sommes tout de même retrouvés trois fois de suite, en France, à plus d’un million dans la rue : contre le Front national, contre la guerre en Irak et pour la défense du système des retraites. On est davantage dans un cycle de mobilisation que dans une phase de dépression. Même s’il est difficile de se mobiliser quand on vit avec un RMI, soit 400 € par mois.
Ouest-France : Vous suscitez de la sympathie, vous imposez le débat. Mais on ne voit pas grand-chose de concret sortir de tout cela...
Christophe Aguiton : Nous avons pourtant tordu le cou à la pensée unique. La mondialisation libérale reste puissante, certes. Mais nous sommes là maintenant, systématiquement, pour affirmer qu’en face, un choix existe. Les résultats sont plus minces au plan pratique, mais c’est normal car notre mouvement n’en est qu’à son début. Les choses bougent quand même. Regardez ce qui s’est passé avec le traitement du sida : les pays pauvres commencent à obtenir des médicaments génériques, donc beaucoup moins chers. On est encore loin du compte, mais nous avons fait bouger les multinationales. Ce n’est pas rien.