Opinion

Daniel Tanuro, en débat à Tulle : « le plus dangereux, c’est de voir le cataclysme climatique comme inéluctable »

, par TANURO Daniel

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Ingénieur agronome, environnementaliste, militant écosocialiste et auteur de plusieurs ouvrages dont L’impossible capitalisme vert, Daniel Tanuro sera à Tulle ce samedi 29 août. Rencontre avec un homme engagé.

Daniel Tanuro
© Agence TULLE

  • Dans votre nouveau livre Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement, vous développez dans un long exposé la gravité de la situation climatique, listez les nombreux rapports scientifiques alarmants, faites le point sur la dégradation de la biodiversité et projetez le lecteur vers le « cauchemar » qui l’attend dans les prochaines décennies. C’est important de faire peur ?

Je pense que oui, au regard de la gravité de la situation, il faut avoir peur. Il existe deux grandes tendances. D’un côté ceux qui sont convaincus qu’il faut exclure cette idée de faire peur, qui voient les crises comme des défis et, à l’opposé, ceux qui chargent la barque dans l’autre sens. Je pense qu’il faut faire un peu des deux. La peur peut être une motivation extrêmement puissante, à la différence de la panique. On sait qu’on peut agir pour éviter que la catastrophe ne se transforme en cataclysme, c’est un moteur puissant. En revanche s’il n’y a pas d’espoir, on risque de tomber dans la sidération, la paralysie. C’est une des plus grandes menaces : voir la situation comme inéluctable, ne pas entrevoir de solution. Ce discours fataliste est de plus en plus courant et extrêmement dangereux.

  • Vous avez notamment une position très critique vis-à-vis du courant de pensée de la collapsologie, qui s’intéresse au possible effondrement de notre civilisation, et qui séduit un public de plus en plus large.

Je ne vais pas pinailler avec eux sur le diagnostic. Ce n’est pas grave qu’ils forcent un peu le trait sur le catastrophisme. Ça, c’est une discussion de deuxième ligne. La discussion de première ligne, c’est le fatalisme et le côté inéluctable de ce qu’ils appellent « l’effondrement ». D’autant plus que cette notion est assez floue.

« Pablo Servigne et ses compagnons ont évidemment raison de comparer le système actuel à un véhicule qui fonce droit dans le mur et qui accélère. Nous n’avons aucun désaccord sur ce point et leur reconnaissons le mérite de contribuer à sonner l’alarme. Ce que nous contestons, c’est leur choix stratégique de sauter de la voiture en marche pour s’en aller faire du maraîchage et danser joyeusement dans les forêts en abandonnant les autres passagers à leur sort. [...] nous plaidons pour une autre stratégie : arrêter le chauffard, saboter la voiture, limiter les dégâts au maximum et convaincre les passagers de détruire à jamais ce véhicule. »
Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement (extrait)

  • « L’heure des choix qui déterminent l’avenir, c’est maintenant. Il reste moins de dix ans pour prendre les mesures nécessaires afin de rester sous 1,5° C (de réchauffement, ndlr) », écrivez-vous. Vous pointez cependant le système capitaliste comme incapable d’empêcher la débâcle annoncée. Au regard de l’urgence, l’équation est-elle insolvable ?

Il est tard, mais il n’est pas trop tard. La lutte peut faire la différence, quelque soit l’étape de la catastrophe. Le capitalisme ne va pas s’effondrer tout seul. Il ne s’arrêtera que s’il n’a plus de ressources à exploiter. Il continuera, et même si ce doit être en condamnant à mort un ou deux milliards d’individus. Je pense que certains se sont accoutumés à cette idée, de façon non-explicite et en se disant « que voulez-vous, ce sera la faute à pas de chance... »
La tâche est herculéenne pour empêcher cela. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas dire la vérité. La première chose à faire c’est de dire, dire et redire. Il faut convaincre. C’est le premier défi : faire en sorte d’offrir une autre issue. Et je m’inscris complètement en faux contre la modération et l’idée que le capitalisme vert peut nous sauver. Il n’y a rien à attendre du système actuel. On peut espérer que les décideurs ont un plan, mais je crois qu’il n’en est rien, qu’ils n’en ont aucun. Aucun gouvernement n’a un plan digne de ce nom. Ce qu’ils proposent, c’est presque rien. Il n’y aura pas de solution de ce côté là.

  • Vous proposez le chemin de l’écosocialisme pour répondre à la crise.

Un plan public écologique et social est indispensable. Il faut une rupture profonde avec la logique capitalistique d’accumulation. Nous devons produire moins, transporter moins et partager plus. Il faut socialiser le secteur de l’énergie et de la finance et casser le pouvoir des multinationales. Il faut également rompre avec l’agrobusiness qui a un impact catastrophique. Ce sont de véritables choix de vie que nous avons à prendre, mais ce sont les choix du bon sens. C’est à la fois très simple et très fort mais l’essentiel dans la vie, c’est quand même la vie elle-même et l’essentiel, c’est donc d’en prendre soin.

  • Certains plaident pour plus d’autoritarisme pour prendre les mesures à la hauteur de la situation. Qu’en pensez-vous ?

La manière forte, ça ne peut pas marcher. Je m’inscris totalement en faux contre l’idée qu’il faut une dictature pour imposer des mesures impopulaires. Le défi est gigantesque et on ne peut pas y arriver sans une adhésion de la majorité. Il faut une adhésion profonde au projet écosocialiste et un investissement actif des gens. Sans ça, il n’y aura pas de solution. En revanche, une fois qu’il y a l’adhésion au projet, il faut imposer les mesures. Mais on ne peut pas le faire tout à trac. Pour y arriver, il faut des débats de fond partout, dans chaque école, chaque service public... Mais pour y arriver, il faut aussi une autre économie du temps, une réduction du temps de travail. En France, la Convention citoyenne pour le climat, même si l’on peut regretter que ses conclusions ne soient pas assez radicales, à au moins montré que c’était possible. « Monsieur et Madame tout le monde » peuvent comprendre et se saisir des rapports des experts.

  • Les grèves pour le climat, Greta Thunberg, Extinction Rebellion... Vous listez plusieurs mouvements encourageants.

Il y a deux ans, qui aurait pu pronostiquer que des millions de gens descendraient dans les rues pour le climat à l’appel de la jeune et formidable Greta Thunberg ? C’est porteur d’espoir, car c’est le mouvement de la jeunesse. L’évolution de la militante Greta Thunberg est remarquable. Elle est invitée à la tribune des COP car les possédants essayent de l’utiliser et, à chaque fois, elle crache dans la soupe. Des luttes convergent. Il y a tout de même des choses qui se passent. J’écris pour conscientiser les militants du monde du travail. La situation est gravissime et ils en seront les principales et premières victimes. Leur sort est lié au productivisme.

Marche pour le climat à Brive.
© Photo : Stéphanie Para.

  • Vous avez écrit votre ouvrage Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement avant que ne survienne la crise sanitaire, mais avez ajouté un avant-propos car la pandémie et la façon dont elle est gérée confortent certaines de vos thèses dites-vous.

Oui, elle confirme en tout cas que les gouvernements sont sourds face aux cris d’alarme des communautés scientifiques. C’est le cas pour les pandémies qui résultent de la dégradation de la relation entre l’humanité et le reste de la nature, et il en va de même pour le risque de basculement climatique. C’est la même surdité face aux alertes, qui sont pourtant données depuis bien plus longtemps. La seule explication plausible, c’est que les personnes aux responsabilités n’ont pas le même logiciel ni les mêmes priorités. Et même s’ils peuvent être avisés et prendre conscience du danger furtivement, le lendemain, c’est « business as usual »... Il n’en va pas de la médiocrité de tel ou tel politique. C’est quelque chose de structurel.

  • Quels enseignements retenez-vous de la crise sanitaire ?

Il y a eu une prise de conscience très large sur l’incapacité de protection des dirigeants, et elle est directement liée à leur subordination à la loi économique et à la règle du profit. La pandémie apporte également des arguments aux partisans de la solidarité. De l’autre côté, il y a aussi la menace sécuritaire et le contrôle technologique des populations... Ce que je n’avais pas vu venir en revanche, c’est le mouvement anti-masques. Mais il y a finalement quelque chose d’assez analogue avec le climat.

Pratique : À Tulle, samedi 29 août
11 heures : signature à la librairie Préférences. Salle Latreille à partir de 15 heures, ateliers ouverts. 19 heures : dîner. 20 heures : réunion débat. Masque obligatoire.