Période critique pour le cas Mumia Abu-Jamal

, par BLOOM Steve

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Le 15 octobre 1999 les avocats de Mumia Abu-Jamal, prisonnier politique injustement détenu aux États-Unis, ont déposé devant la Cour du District Fédéral le dossier de sa procédure d’appel. La date de la prochaine étape légale sera décidée par le juge William Yohn qui doit fixer le jour de I’ audition initiale au cours de laquelle les arguments de la défense et ceux de l’accusation, déjà déposés par écrit, seront présentés oralement par les avocats, en présence de Mumia. Les militants engagés dans la campagne exigeant la justice pour Mumia préparent une mobilisation massive ce jour là, de manière à ce que la voix de l’opinion publique résonne à l’intérieur et à l’extérieur de la Cour [1].

18 ans dans le couloir de la mort

Mumia Abu-Jamal a été condamné en 1982, accusé d’avoir assassiné Daniel Faulkner, un officier de police, à Philadelphie en Pennsylvanie. Depuis cette condamnation dans un procès instruit à charge et marqué par les erreurs judiciaires, il a passé les dernières 18 années dans le couloir des condamnés à mort, dans les conditions les plus brutales et les plus inhumaines qui soient. Entre-temps une campagne mondiale de solidarité s’est développée devant l’évidence chaque jour plus grande que Mumia a été victime d’une machination policière et gouvernementale. Le FBI avait en effet suivi Mumia depuis que, âgé de 14 ans, il avait été membre du Black Panther Party (Parti des Panthères noires).
Au moment de son arrestation Mumia présidait l’Association des journalistes noirs de Philadelphie et avait acquis une considérable réputation comme porte-parole de la communauté noire et défenseur acharné des pauvres et des opprimés, ce qui lui a valu l’inimitié des élites locales. Il a poursuivi son travail de journaliste en prison, devenant mondialement connu en tant que « voix des sans-voix ».
Beaucoup de faits qui ont fini par convaincre l’opinion mondiale que le procès et la condamnation de Mumia étaient un déni de justice ont émergé au cours des années qui l’ont suivi. Ainsi des témoins ont avoué avoir fait de faux témoignages, d’autres ont certifié qu’ils se sont abstenus de témoigner devant les pressions de la police. Les experts balistiques ont affirmé que le scénario de l’accusation était en contradiction avec leur expertise (au cours du procès initial la défense n’avait pas eu les moyens pour financer une contre-expertise).
Pourtant aucune de ces évidences ne fait pour l’instant partie des actes du procès. Les avocats de Mumia avaient bien tenté de les faire prendre en compte au cours des audiences qui avaient eu lieu en 1995 devant le juge Albert Sabo — le même qui avait prononcé la sentence originale ! — mais ce dernier avait estimé qu’aucun des témoignages présentés n’était plausible et a refusé d’adjoindre leur transcription aux actes. La Cour Suprême de Pennsylvanie, la dernière qui se soit prononcée dans cette affaire, s’est rangée à l’avis du juge Sabo. Mais cette Cour est un corps élu et la majorité de ses juges avaient été élus avec le soutien de l’Ordre Fraternel de la Police — le principal groupe engagé dans la croisade pour l’exécution de Mumia. Tout vote en faveur de Mumia aurait signifié pour chacun d’entre eux la perte de ce soutien et aurait mis en cause leur réélection.

Mumia Abu-Jamal : « L’Empire d’aujourd’hui est la cendre de demain »
Crédit photo : illustration d’Anastasya Eliseeva, Peoples Dispatch (domaine public).

L’importance de la solidarité

Ainsi une des questions-clé qui dépend de la décision du juge Yohn consiste à inclure dans la procédure les faits nouveaux apparus depuis la sentence. Il n’est pas requis par la loi de le faire, mais il en a le droit. (Du point de vue de la loi américaine il peut aussi se limiter à vérifier si la procédure écrite est entachée d’erreurs, sans procéder à sa réouverture).
Mumia exige la réouverture de la procédure et la Cour présidée par le juge Yohn est la dernière instance où cela est possible. S’il le refuse il n’y aura plus de nouvelles audiences même si l’affaire est portée devant les deux juridictions supérieures, le Cour d’Appel fédérale et la Cour Suprême des États-Unis. Ces deux instances se limitent strictement à étudier le dossier tel qu’il a été établi par les juridictions précédentes, c’est pourquoi la décision du juge Yohn revêt une telle importance. Il n’est donc pas exagéré d’écrire que le sort de Mumia Abu-Jamal dépendra largement de la clameur publique qui se sera élevée avant que le juge Yohn ne prenne sa décision. Le nombre de ceux qui dans le monde entier regardent comment la justice fédérale traite le cas Mumia peut ainsi influencer son attitude.
L’intervention de quatre Amicus Curiae (« Amis de la Cour »), qui ont offert au juge Yohn des mémorandums lui demandant de prendre en compte des arguments légaux supplémentaires, fut un nouveau développement juridique du cas de Mumia. Les quatre organismes qui sont intervenus en tant qu’Amicus Curriae apportant de nouveaux éléments substantiels à la demande de révision du procès formulée par Mumia étaient : l’Association nationale pour le progrès des personnes de couleur, l’Union américaine des droits civiques, 22 membres du Parlement britannique et la Fondation d’études Chicano/Chicana. Cependant le juge Yohn a refusé de prendre en compte ces arguments supplémentaires, arguant qu’ils n’apportaient rien de substantiellement nouveau et qu’il ferait mieux d’employer son temps à traiter les procès en appel qui prennent du retard. Les parlementaires britanniques et la Fondation Chicano/Chicana ont à leur tour saisi la Cour Fédérale des Appels, exigeant qu’elle ordonne au juge Yohn de tenir compte de leurs dossiers.
En fin de compte, la Cour des Appels a maintenu la décision du juge Yohn, mais cette procédure a permis de gagner du temps et de faire connaître les deux dossiers qui attiraient l’attention sur des aspects inconnus du procès original. Ainsi la relecture des actes et d’autres matériaux légaux a permis de trouver des éléments additionnels en faveur de la thèse d’un coup monté dont Mumia fut victime. Par exemple on a découvert l’engagement de l’avocat de Mumia (commis d’office) à collaborer avec le juge et le procureur de manière à ce que le jugement ne puisse être remis en cause par une procédure d’appel. De plus le juge Sabo avait proclamé devant la Cour qu’il avait pris soin de vérifier auprès de l’instance supérieure la convenance de son refus d’accorder à Mumia le droit de se faire assister par un non avocat (John Africa de l’association MOVE de Philadelphie) présent à la table de la défense en qualité de consultant. Mais le dossier ne contient aucune pièce témoignant d’une telle vérification [2].

Les défenseurs de Mumia sur la sellette

Le cas de Mumia a été à nouveau soulevé par des milliers de manifestants qui se sont placés sur le chemin de la parade inaugurale du président George W. Bush, le 20 janvier à Washington. Une nouvelle conférence nationale, où les nouvelles mobilisations en faveur de la libération de Mumia seront discutées, se tiendra à Washington les 30 et 31 mars prochain.
En lien avec les mobilisations en faveur de la libération de Mumia, mentionnons enfin la condamnation, pour avoir prononcé un discours, à 90 jours de prison de Clark Kissinger de l’organisation Refuse and Resiste. Clark avait été déjà condamné à une période de probation pour avoir pris part à un sit-in devant la Cloche de la liberté à Philadelphie le 3 juillet 1 998. La majorité des participants à ce sit-in avaient alors plaidé coupable et ont payé une amende. Kissinger et une poignée d’autres ont plaidé non coupable et ont exigé un procès. Ils furent alors condamnés à une longue période probatoire assortie de conditions particulièrement dures en ce qui concerne leur liberté de déplacement en dehors de leur lieux de résidence (New York dans le cas de Kissinger), leurs activités associatives et leurs revenus.
Kissinger a défié ce jugement en se rendant en août dernier à Philadelphie pour prendre la parole lors de la manifestation qui se déroulait face à la Convention nationale du Parti républicain. Le 6 décembre dernier le Juge fédéral Arnold C. Rapoport l’a condamné à 90 jours d’emprisonnement à l’issue desquels ils devra poursuivre sa période probatoire précédent. Kissinger a fait appel, considérant que sa précédente condamnation violait ses droits constitutionnels et était donc illégale.

Steve Bloom, membre de la direction de l’organisation socialiste américaine Solidarity, anime la Coalition de New York pour la libération de Mumia Abu-Jamal.

Notes

[1Il est probable que la date de l’audition ne sera connue que quelques jours avant.

[2Les dossiers des Amicus Curriae peuvent être consultés sur le site de la Coalition de New York pour la libération de Mumia Abu-Jamal : www.freemumia.com

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