« Rupture et réforme »

, par AGUITON Christophe

Recommander cette page

Christophe Aguiton, militant associatif et syndical, auteur de Le monde nous appartient, les acteurs d’une autre mondialisation.

Je pense que le Parti socialiste, comme le reste de la gauche, doit prendre garde à deux écueils. Le principal risque est une lecture droitière, “blairiste”, du résultat de l’élection présidentielle, qui consisterait à justifier l’échec de Lionel Jospin par un simple manque de fermeté sur les questions de sécurité. Ce serait oublier un peu vite que plus de 20% des électeurs se sont exprimés pour une politique plus à gauche, si l’on compte les suffrages qui se sont portés sur l’extrême gauche, les Verts, le PC et qu’on y ajoute une partie des voix chevènementistes. Mais il existe un autre risque, celui du “néo-molletisme” : un discours radical le dimanche, pour les meetings, et le reste du temps on poursuit une politique identique.

Le problème de fond, pour le PS, c’est l’absence, ou du moins la faiblesse, d’une pensée politique alternative. Il n’a pas de projet qui aille dans le sens d’une rupture avec le libéralisme. Or c’est bien cela qui a été sanctionné par les urnes ; et le besoin s’en fait sentir au moins aussi fortement en 2002 que dans les années 1930. A cette époque, la théorie de Keynes, comme celle des planistes chez les sociaux-démocrates, a représenté une alternative cohérente, même si elle restait interne au capitalisme.

La question n’est pas de voir surgir des rangs socialistes, ou de ceux d’un autre parti de gauche, un nouveau Keynes, voire un nouveau Marx, mais, plus modestement, de reconstruire un projet à partir de ce que j’appellerai les "briques élémentaires", c’est-à-dire les réponses aux inquiétudes sociales, environnementales et démocratiques clamées par les Français. Dans un monde où les sécurités se délitent, où la précarité menace, où la mondialisation engendre une multitude d’incompréhensions, il faut travailler à partir des revendications que portent les mouvements sociaux, les syndicats et les associations.

Il a toujours existé deux cultures politiques dans la gauche française, une culture de la réforme par l’intérieur, et une autre de la rupture radicale. Ces deux cultures sont en crise, mais, paradoxalement, alors qu’après la chute du mur de Berlin beaucoup pensaient que les thèses qui prônaient la rupture avec le capitalisme étaient définitivement discréditées, aujourd’hui, le vide d’idées le plus criant est de l’autre côté, celui des sociaux-démocrates. Toutefois, personne ne peut se réjouir de cette situation. D’une certaine façon, l’absence d’un projet cohérent porté par le Parti socialiste stérilise les débats dans le reste de la gauche, partagé entre le rejet sans discussion de la politique social-démocrate et la simple satellisation par le PS.

P.-S.

Propos recueillis par Elise Karlin.
Article paru dans l’Express, édition du 29 août 2002.

Pas de licence spécifique (droits par défaut)