Corse

À qui profite le blocage ?

, par NAZIER Alain

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Ce n’est pas la première fois que des bâtiments publics sont l’objet, en Corse, de destruction. Ce qui interroge, c’est la méthode employée et le moment.

C’est en effet la première fois que ce genre d’opération se fait en plein jour au risque de tuer aveuglément. Ce qui relève plus de la pratique mafieuse ou barbouzarde que des opérations nationalistes classiques, et soulève à bon droit la plus totale condamnation.
Cette action vient à un moment où des voix s’élèvent pour demander d’amples exemptions fiscales, une baisse des cotisations sociales, et voudraient revoir la loi de protection du littoral en vue d’investissements juteux. Ces revendications émanent classiquement des milieux d’affaires, de la droite classique et se discutent dans certains cercles de la droite nationaliste. D’autre part, cette action se situe dans une période où l’Etat français est relativement déstabilisé par l’affaire Bonnet, qui voulait rallumer les guerres intestines au sein du milieu nationaliste, et par les révélations de rapports parlementaires qui en disent assez long sur la liberté que s’octroient certains services de répression.
Bref, le résultat immédiat de l’opération sème un peu plus la discorde dans les rangs nationalistes, et permet surtout à l’Etat français de renforcer la présence policière en Corse. Pour autant, la réaction insulaire a été très réduite : moins de 2 000 personnes à Ajaccio pour une manifestation appelée par le maire. Si cette action a été menée par un nouveau groupe nationaliste dissident, qui a d’importants moyens, il ne paraît pas que celle-ci soit de nature à radicaliser la lutte mais à la rendre plus difficile, idéologiquement et matériellement.
Elle ne peut se comprendre si on l’isole de son contexte politique, en particulier la politique menée par l’Etat français. Jospin, lors de son voyage en Corse, a non seulement condamné l’action armée, mais il a fermé la porte à toute négociation tant que la violence ne serait pas unanimement condamnée par les nationalistes. Cela s’appelle un préalable destiné à fermer toute discussion. Et Jean-Guy Talamoni (porte-parole de la Cuncolta nazionalista) a beau jeu de répliquer que la violence existera tant qu’il n’y aura pas de négociation. Encore faut-il négocier vraiment, avoir des propositions à faire, savoir avec qui et par quel processus. Aucune réponse lisible du gouvernement à ces questions. Alors, il reste le statu quo qui satisfait un certain nombre de gens, à commencer par le national-chauvin Chevènement, obsédé par la grandeur de la France. Il reste les prébendes à gérer par les politiciens locaux, en remerciement de leur soumission. Il reste les coups tordus de Bonnet et autres services, et la répression banale, amplifiée même.
Dans le même temps, de gros appétits s’impatientent. Ils rêvent d’un paradis fiscal débarrassé de ses protections sociales, d’un littoral exploitable à merci, de salariés soumis au droit de grève limité. Et durant ce temps, le chômage persiste, une partie de la population s’appauvrit, la jeunesse s’interroge sur son avenir. Sans parler du mépris des droits du peuple corse, toujours le mépris, si bien exprimé par cette manifestante « continentale » et rapporté par Le Monde (30 novembre 1999) : « J’espérais qu’il y aurait des jeunes. Je me suis trompée : les Corses s’en foutent. Politiquement, ils ne sont pas majeurs. »
Si cette dame ne partageait pas une vision anti-Corse ordinaire, elle comprendrait que l’Etat français n’a aucune légitimité pour une partie de la jeunesse. Face à ce pourrissement voulu par l’Etat, des jeunes révoltés font d’Yvan Colonna leur héros de désespoir.
Devant cette situation, la direction de la Cuncolta, avec d’autres, a certainement commis une erreur. Plutôt que de condamner simplement la position de Jospin, il fallait appeler à la trêve, réclamer une négociation immédiate, avec toutes les parties, toutes les organisations, non pas dans le secret comme dans la période précédente, mais publique, sous le contrôle des Corses. Ce processus, le seul viable, reste d’actualité.

P.-S.

Rouge, 2 décembre 1999.

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