Combattre la relégation

, par EYRAUD Jean-Baptiste

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Jean-Baptiste Eyraud est l’un des fondateurs de Droit au logement, dont il assume depuis l’origine la présidence. Son mouvement est l’une des principales expressions des sans-droits. Il a, à ce titre, participé à toutes les initiatives marquantes du mouvement social ces dernières années, bien au-delà de sa revendication principale de réquisition des logements vacants. Il a écrit avec Jacques Gaillot Monsieur le président, expulsez la misère ! (Laffont, 1995).

Rejoignant les analyses du Dal sur l’état du mal-logement dans notre pays, le Haut comité au logement des plus défavorisés et la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des plus démunis tirent la sonnette d’alarme : l’accès au logement social pour les ménages pauvres et modestes se restreint, la disparition du parc locatif privé à bas loyer s’accélère avec le retour de la spéculation immobilière, les expulsions locatives ne se sont pas ralenties, les dispositifs d’urgence sont saturés.
Face à ces constats, il est nécessaire de rappeler combien la centrifugeuse sociale est tristement efficace, renvoyant les ménages à faibles revenus toujours plus loin des centres économiques, dans des zones de relégation qu’il devient urgent aujourd’hui, pour des raisons de bonne gestion sociale, financière et politique, de déplacer à nouveau encore plus loin. La restructuration urbaine est en marche, le grand chantier des démolitions de HLM qui s’annonce pour les prochaines années en sera l’instrument. Trois cent à quatre cent mille destructions de logements HLM à faible loyer sont programmées pour les 20 années à venir, et il est acquis aujourd’hui que les indésirables, chômeurs, révoltés et autres désaffiliés en seront bannis.
Mais pour en arriver là, les lois divines du marché ne sont pas seules en cause. Ainsi, le retour de la hausse des prix dans l’immobilier non seulement a été espéré par le gouvernement, mais a été stimulé par une série de mesures fiscales favorables aux revenus les plus élevés. L’amortissement Besson, qui permet à un investisseur immobilier de se rembourser 60% de la valeur d’un bien en quelques années, sous forme de crédit d’impôt, en est l’illustration.
Certes, il y a une légère contrepartie, qualifiée outrancièrement de sociale, dont se satisfait parfaitement le milieu de l’immobilier. En effet l’acquéreur devra le louer 10 ans, à des ménages à revenus moyens, mais c’est oublier que, dans la plupart des cas, les occupants précédents ont été chassés à coup d’intimidations, de procédures judiciaires ou de prime au départ pour les plus récalcitrants. Moins tapageuse, la baisse des taux de mutation est également une mesure destinée à débrider l’activité immobilière.
Chaque transaction, chaque construction, alimente les caisses de l’Etat, selon la bonne grosse ficelle, "quand le bâtiment va, tout va". Et la gauche gestionnaire de se satisfaire d’afficher des excédents budgétaires sans pour autant réparer les conséquences sociales désastreuses. C’est oublier également, combien la crise immobilière après une première vague spéculative a eu des effets dévastateurs sur les finances publiques ; le Crédit lyonnais, le Gan, et de nombreux autres groupes financiers publics ont perdu plusieurs centaines de milliards, au profit de quelques affairistes qui ont bâti leur fortune à cette occasion.
A l’heure où la machine "à faire de l’argent en dormant" s’emballe à nouveau, plus personne ne songe à en limiter les excès et encore moins à en réparer les blessures sociales.
Ainsi, malgré une accélération de la hausse des logements vacants dans les grandes agglomérations, et pour la première d’entre elle, l’Ile-de-France où l’Insee en a décompté 30% de plus entre les deux recensements, la loi de réquisition reste inappliquée après trois années de gauche plurielle ; à la demande incessante des mal-logés la réponse du ministère du Logement est sans appel, réquisitionner, "cela coûte trop cher". Qui pourrait croire un seul instant que loger les ménages à faibles revenus serait économique ? A moins de développer les formes de sous-habitat, tel que les igloos de notre "bon" monsieur Dassault, les centres d’hébergement temporaire, et toutes les formes d’habitat précaire que l’on voit fleurir avant chaque vague de froid. En quelque sorte de l’habitat en CDD, où les mal lotis entre deux séjours dans les cartons, les caravanes ou les squats, se relaient périodiquement.
En attendant, 1 logement sur 10 est inoccupé à Paris, et cette pénurie artificielle alimente la hausse. C’est peut-être là qu’il faut chercher la véritable cause de cette impuissance publique, à moins que ce ne soit tout simplement du renoncement.
Plus graves encore ont été les mesures prises pour limiter l’accès au logement social des ménages pauvres et des immigrés venus du Sud. En deux années, les plafonds de ressources réglementant l’accès au logement social ont été relevés. Ce qui faisait dire, non sans une certaine fierté, à M.Gayssot, s’adressant aux députés la semaine dernière pour les convaincre de la modernité des HLM, que plus des deux tiers des Français pouvaient aujourd’hui accéder à une HLM. Dans ces conditions, et pendant que les bailleurs sociaux rivalisent d’initiatives pour draguer les classes moyennes, on imagine aisément que les moins fortunés risquent d’attendre encore longtemps leur tour. Que peut faire un smicard pour être préféré à un couple avec deux enfants gagnant 24000F par mois ? Il lui reste à choisir l’exil ou prendre son courage à deux mains et s’inscrire dans des luttes de mal-logés.
Plus perverse est la création par la loi contre les exclusions du critère de mixité sociale, destiné à opposer des refus d’attribution de logements sociaux aux ménages pauvres, instables ou "basanés" sans avoir à en justifier le véritable motif.
Si la loi de solidarité et de renouvellement urbain, en cours d’examen à l’Assemblée nationale, semble plus prometteuse au premier abord, elle peut n’être qu’une manoeuvre préélectorale sans grande efficacité, comme de nombreuses lois en trompe l’oeil dont les progrès sociaux se font toujours attendre et dont les régressions sont en revanche, déjà, tout à fait appliquées.

Source

Rouge, n° 1867, 16 mars 2000.

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