Bobby Sands, Francis Hughes, Ray McCreesh, Patsy O’Hara, Joe McDonnell, Martin Hurson, Kevin Lynch, Kieran Doherty, Tom McElwee et Mickey Devine mourront entre le 5 mai et le 20 août. Leurs revendications, les « 5 demandes », étaient le droit de porter des vêtements civils, de refuser le travail carcéral, le droit de visite, d’association, le droit aux remises de peine et visaient à rétablir un statut dont bénéficiaient leurs camarades condamnés avant 1977.
Pour comprendre la grève de la faim, il faut remonter à la fin des années soixante, quand le mouvement pour les droits civiques réclamait l’égalité des droits pour la population nationaliste vivant dans le petit Etat artificiel créé au Nord de l’Irlande par les Britanniques. Des revendications élémentaires : droit de vote pour tous aux élections municipales, droit à l’emploi et au logement. La répression brutale des manifestations pacifiques et la chasse aux « papistes » menée par les unionistes et leurs milices en 1969 avaient eu deux conséquences : la fuite au Sud de centaines de familles terrorisées et la renaissance de l’IRA, marginalisée depuis l’échec des campagnes des années cinquante. Après l’arrivée des troupes britanniques censées protéger la population nationaliste, les illusions s’écroulent. Aux exactions des loyalistes s’ajoute la répression policière et militaire. L’IRA est la seule protection des quartiers catholiques, et les jeunes s’engagent en masse dans ses rangs.
À partir de 1972, les cours de justice expéditive créées après la promulgation des « pouvoirs spéciaux » envoient des centaines de jeunes gens condamnés à de très lourdes peines dans les quartiers de la prison de Long Kesh, près de Belfast. Après une grève de la faim de 35 jours, ils obtiennent un statut très proche de celui des prisonniers de guerre.
Criminalisation
C’est un gouvernement travailliste qui décide de retirer ce statut à tous les prisonniers condamnés après le 1er mars 1976. Le gouvernement britannique a rompu la trêve, il s’emploie à convaincre l’opinion internationale et les journalistes étrangers (basés à Londres et régulièrement « briefés ») du caractère mafieux et terroriste de la lutte de libération nationale. Il lui faut donc en finir avec ce statut de prisonnier politique qui contredit sa thèse. On construit de nouveaux baraquements à Long Kesh, les fameux « Blocs H », pour enfermer ceux qui n’auront pas le même statut que leurs camarades. Ils seront traités comme des criminels, ce qui est inacceptable pour les militants républicains. Le 14 septembre 1976, Kieran Nugent est le premier volontaire de l’IRA condamné sous le nouveau régime. Il refuse de revêtir l’uniforme des prisonniers de droit commun et sera ramené nu dans sa cellule.
C’est le début d’une lutte extrêmement éprouvante, pendant laquelle les volontaires de l’IRA et de l’INLA vont vivre nus sous une mince couverture dans des cellules glacées, affamés, privés de droit de promenade et pratiquement coupés du monde, frappés et humiliés par les gardiens. L’interdiction de porter la couverture en dehors de la cellule obligeait les prisonniers à sortir nus pour aller aux douches ou à la cantine, les agressions physiques s’ajoutant à l’humiliation. Ce qui entraîna leur refus de sortir et la grève de l’hygiène, rejoints par leurs camarades femmes de la prison d’Armagh. À partir de 1978, les prisonniers restent enfermés dans des cellules puantes. Malgré les inépuisables astuces imaginées pour communiquer avec les autres cellules et l’extérieur, la situation deviendra intolérable. Le 27 octobre 1980, Sinn Féin annonce le début d’une grève de la faim. Elle cessera sur la foi de promesses jamais tenues.
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- Shermozle, Photo, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0
Bobby Sands est élu
Bobby Sands se met en grève de la faim le 1er mars, sur la base des 5 demandes et la grève de l’hygiène se termine. Tout le monde savait que Bobby Sands irait jusqu’au bout. C’est Margaret Thatcher qui sévit à Londres et le bras de fer commence. Le 10 avril, il est élu député dans une élection partielle du Fermanagh-South Tyrone. Les prisonniers ne peuvent se contenir et malgré les consignes de silence, pour cacher aux gardiens la présence de radios, la prison résonne de leurs cris de joie. Tous pensent que le soutien de la population nationaliste, déjà évident dans les immenses manifestations, confirmé par le vote, malgré la candidature du SDLP modéré sur la même circonscription, va sauver Bobby.
Un élu à Westminster ! C’était une décision douloureuse pour le mouvement républicain, abstentionniste depuis 1922, puisqu’il ne reconnaissait pas la légitimité du mini-Etat du Nord, pas plus que celle de la République amputée d’une partie de son territoire. Mais Thatcher se fiche de l’opinion internationale. Bobby Sands, élu ou pas, s’affronte à l’empire britannique. Il a eu le culot de prouver que le mouvement républicain n’est pas une bande de criminels isolés. La Commission européenne des droits de l’Homme intervient, beaucoup trop tard, et tente de rendre visite à Bobby Sands le 24 avril, mais est incapable d’imposer à Londres la présence de Gerry Adams et de Danny Morrison, comme l’exigeait Sands. Il meurt le 5 mai. Les quatre mois qui suivent sont horribles, avec la succession des manifestations, les grévistes qui meurent les uns après les autres, Francis Hughes le 12 mai, Ray McCreesh le 21, Patsy O’Hara (INLA) le 22. Le mois de juin offre un répit, mais Joe McDonnell meurt le 8 juillet, Martin Hurson le 13, Kevin Lynch (INLA) le 1er août. Kieran Doherty, bien qu’il ait été élu député le 11 juin dans les 26 comtés, meurt à son tour le 2 août. Une chape de plomb, faite de désespoir et de rage impuissante, s’empare des ghettos nationalistes. Tom McElwee meurt le 8 août et Mickey Devine (INLA) le 20. Les familles des autres grévistes, à bout de nerfs, sous la pression de l’église catholique et des autorités britanniques donnent une par une l’autorisation de nourrir artificiellement les volontaires qui tombent dans le coma. La grève de la faim n’a plus de sens, elle se termine.
D’immenses conséquences
Mais ses conséquences seront immenses. Elle a soudé la population nationaliste et suscité un mouvement de solidarité dans le monde entier. Elle a détruit des années de propagande et fait échouer la « criminalisation » : c’est le gouvernement britannique qui, après avoir assassiné de sang-froid dix jeunes gens, aura du mal à affronter la condamnation internationale. À l’intérieur du mouvement républicain, elle va aussi changer la donne. La jeune génération a prouvé son dévouement total et ses capacités politiques. En 1986, elle prendra le pouvoir dans le mouvement sur la base du programme « Armalite* et bulletin de vote ». Sans renoncer à la lutte armée, elle rompra définitivement avec la politique abstentionniste. Seule une petite minorité autour de Ruairi O’Bradeigh, l’ancien président, campant sur la position de la lutte armée comme seul moyen de libération, scissionnera pour former l’« IRA de la continuité ». En 1987, Gerry Adams sera élu député de Belfast-Ouest. En août 2000, la prison de Long Kesh ferme ses portes après la libération des derniers prisonniers.
La grève de la faim a bouleversé la stratégie du mouvement républicain et son impact, tant politique qu’émotionnel, en a fait l’événement majeur de l’histoire du conflit (loin d’être terminé) au Nord de l’Irlande.
* Fusil d’assaut