Pays Basque

L’ETA en pleine irrationalité

, par CASTAÑOS RAMÓN José

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Quels que soient les buts recherchés par l’ETA, l’assassinat de Fernando Buesa a dressé la population basque contre l’organisation armée et réussi à obscurcir le processus de paix comme la refondation de la gauche basque.

Lorsque, en septembre 1998, nous avons passé l’accord de Lizarra (signé par les partis politiques basques, les syndicats et les mouvements sociaux), tous les signataires savaient qu’ils fermaient un cycle historique de violence politique qui a duré 42 ans, et que le nouveau processus vers la paix serait douloureux, long et sinueux, avec des avancées et des reculs, des convergences et des ruptures. Mais personne n’imaginait que l’ETA saboterait ce processus. L’assassinat de Fernando Buesa, porte-parole socialiste au Parlement basque, a déchaîné la haine et les passions politiques. Pourtant, les responsabilités des composantes du pacte de Lizarra et de ceux qui sont engagés dans la refondation de la gauche basque nous obligent à garder la tête froide.
Nous ignorons ce que veut l’ETA. Selon certains, la rupture de la trêve est une tactique avant de revenir à la trêve. Selon d’autres, c’est un changement de stratégie pour remplacer la « conquête possible » d’une majorité sociale avec des méthodes démocratiques par la résistance armée, dans la perspective d’une accumulation de forces. Quoi qu’il en soit, l’activité de l’ETA peut être mesurée à ses résultats. L’ETA est parvenue à mobiliser la majorité de la société contre elle. Il s’agit, sans doute, d’un suicide politique d’autant plus incompréhensible qu’il détruit les avancées de 18 mois de trêve. Les revendications de souveraineté politique avaient acquis une légitimité sociale sans précédent ; elle est menacée par le rejet de la majorité des Basques, qui ne veulent pas d’assassinat politique pour défendre une idée légitime.

La fin du pacte de Lizarra ?

La fin de la trêve rend impossible l’alliance démocratique de Lizarra. Même si le Parti nationaliste basque (PNV, au pouvoir en Euskadi) ne souscrit plus aux vieux pactes antiterroristes, il ne siégera pas dans celui de Lizarra, à moins que l’ETA ne donne des garanties sur sa dissolution. Ni les syndicats ni les mouvements sociaux ne reviendront à Lizarra si la lutte armée continue, car ils ont aussi dit que l’ETA est de trop, qu’elle gêne le processus de conquête de la souveraineté nationale et que, pour servir le peuple basque, il ne lui reste qu’à s’autodissoudre.
Il est irrationnel de demander, comme le fait l’ETA, le respect de la volonté des Basques, qui revendiquent leur autodétermination, et faire fi de cette volonté quand ils exigent la fin de la violence et des attentats terroristes. La gauche nationaliste est interpellée et n’apporte pas de réponse satisfaisante.

L’opposition à la violence

Depuis 15 ans, l’ETA a fermé ses crises politiques de la même façon, mettant un mort (ou une dizaine) sur la table, obligeant les organisations civiles à faire le choix entre elle et le chaos, entre la fidélité et la trahison, entre la critique et la dénonciation. Nous pensions que les choses seraient, cette fois, différentes. Hypothèse renforcée par les résolutions du récent congrès de Herri Batasuna (HB), qui prônaient une refondation générale de la gauche basque, par les promesses de prise de distance vis-à-vis de la lutte armée faites par ses dirigeants ou par les déclarations de Lizarra. Nous attendions une prise de distance des dirigeants de HB, mais ils ont tourné le regard lorsque le peuple basque leur a demandé de critiquer l’attentat.
Ceux qui ferment la porte à toute éventualité de rénovation de HB se trompent, car l’affrontement pour le leadership entre la direction militaire (ETA) et les organisations civiles de la gauche nationaliste ne s’est encore soldé par la victoire ni de l’une ni des autres. La critique de la lutte armée que fait le syndicat Lab (l’organisation la plus solide de la gauche nationaliste) est publique. Tout comme l’opposition majoritaire qui semble se manifester parmi la base électorale et militante de la gauche. Ces mouvements critiques ont besoin de temps pour mûrir et ils ont besoin de gens qui les portent de l’intérieur dans leur réflexion.
Nos camarades de Navarre de Batzarre (regroupement politique lancé par Zutik) ont préféré quitter la coalition unitaire Euskal Herritarok (EH) jusqu’à ce que cesse la lutte armée de l’ETA. Nous respectons cette décision qui semble raisonnable, mais n’aurait-il pas été plus constructif de critiquer la violence sans pour autant rompre l’unité ni l’engagement pris pour construire une gauche basque rénovée et réunie ?
La refondation de la gauche basque a besoin d’un renouvellement du discours et d’une critique de la lutte armée, mais il faut faire la différence entre les organisations civiles nationalistes de gauche et l’organisation armée ETA. Ce n’est pas avec l’ETA mais avec Herri Batasuna que nous nous sommes engagés à construire une nouvelle gauche. Mais faute de l’abandon des armes, l’unité de la gauche nationaliste pourrait avancer à condition que EH passe du silence à la critique, de l’opposition murmurée à l’exigence publique d’un cessez-le-feu rétablissant la rationalité politique en Euskadi.

À Bilbao, José Ramon Castaños « Troglo », Zutik.

P.-S.

Rouge, n° 1865, 2 mars 2000.

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