Depuis l’apparition de l’Internet grand public au milieu des années 1990, les gouvernements et les institutions internationales ont tenté d’imposer un contrôle de la liberté d’expression et de communication en ligne. Des associations de l’Internet citoyen et de défense des droits de l’Homme dénoncent l’augmentation de ces attaques portées dans le cadre du déchaînement sécuritaire et de la « lutte antiterroriste ».
Après avoir longtemps professé un refus de la « surveillance électronique générale ou exploratoire pratiquée à grande échelle », le Parlement européen s’est aligné sur les positions du Conseil européen, très proches de celles des Etats-Unis. La directive « Vie privée et protection des données personnelles dans les communications électroniques » du 30 mai 2002 impose aux Etats membres de légiférer d’une manière répressive : obligation pour les fournisseurs d’accès à Internet et les opérateurs de télécoms de conserver les données des communications par e-mail, téléphone, fax... en vue de leur communications aux forces de police, ou à la justice.
Jospin construit les murs...
La France, comme la Grande-Bretagne, a devancé de plusieurs mois la mise en place d’un arsenal extrêmement répressif en la matière. Le gouvernement Jospin avait déjà tapé très fort à l’automne 2001 en votant la loi sur la sécurité quotidienne (LSQ). L’un des premiers actes de Jacques Chirac au lendemain de son élection a été de signer les décrets d’application du volet informatique de ce texte.
Selon l’article 29 de la LSQ du 15 novembre 2001, les fournisseurs d’accès à Internet ont obligation de stocker pendant un an des données relatives aux échanges d’e-mails et aux sites consultés à des fins d’enquête judiciaire [3]. Pour consoler les opérateurs du surcoût entraîné par ce stockage, la loi les autorise désormais à faire commerce de ces données pour constituer des fichiers commerciaux de profils d’utilisateurs en fonction de leurs habitudes. Les enquêteurs (policiers, patronaux ou commerciaux) peuvent ainsi observer les habitudes et les correspondances des abonnés à Internet, établir leurs centres d’intérêt, deviner leurs convictions politiques ou religieuses...
L’e-mail est un outil peu sûr : la correspondance circule sur le réseau à la manière d’une carte postale, lisible par n’importe qui disposant de quelques moyens techniques. Pour préserver le secret des correspondances et de la vie privée et éviter l’espionnage industriel, la cryptographie (le chiffrement des documents) avait été légalisée en 1996, essentiellement sous pression des entreprises victimes d’espionnage des correspondances. Les limites légales à cette pratique, déjà très strictes, se voient désormais renforcées par l’obligation, dans le cadre d’une enquête judiciaire, de décoder ses propres messages sous peine de poursuites : le prévenu, et non plus l’Etat, doit apporter lui-même la preuve de son innocence sous peine d’être puni d’office ! Voilà un précédent en matière juridique... En outre, la loi autorise désormais les juges à « recourir aux moyens de l’Etat soumis au secret de la Défense nationale » pour décrypter les messages...
...Sarkozy pose les barreaux
Pour compléter la législation votée par la gauche plurielle, le gouvernement Raffarin a fait voter dès juillet, dans sa loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure (Lopsi), des dispositions particulièrement alarmantes. On note par exemple la possibilité pour la police de procéder « à distance et en ligne » à la perquisition des serveurs et des ordinateurs, c’est-à-dire au piratage légal des ordinateurs des particuliers comme des entreprises [4]. Le gouvernement a également officialisé la création d’un « centre d’assistance technique » chargé de mettre au clair les informations chiffrées, centre dont les moyens sont couverts par le secret défense. Cette couverture met ainsi les preuves éventuellement apportées à un procès à l’abri de toute contre-expertise.
Si tous les citoyens sont concernés par la volonté de l’Etat de violer le secret des correspondances, certaines catégories sont plus spécialement visées. Les journalistes qui tentent de protéger des sources anonymes ou des dossiers par des procédés de chiffrement se verront forcés de les livrer aux autorités. De la même manière, il sera impossible à un militant de protéger les dossiers de sans-papiers dont il s’occupe, de collecter des données sur des bavures policières... Le contexte politique confirme cette volonté de criminalisation de ces deux catégories, avec l’emprisonnement de José Bové, celui d’Ahmed Meguini suite au rassemblement No Border à Strasbourg, ou encore la mise sur écoute de six journalistes, entre autres dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac [5].
Le mouvement social était déjà visé par la décision cadre antiterroriste de la Commission européenne (assimilant de nombreux faits, dont la grève avec occupation, à des actes de terrorisme) ou par la révision du 30 mai 2002 de la directive européenne relative à la conservation des données informatiques et des télécommunications ; la LSQ et la Lopsi viennent renforcer un arsenal de plus en plus répressif.
Beaucoup s’émeuvent du caractère liberticide de ces textes. Des militants du monde associatif et politique et des acteurs de l’Internet non marchand viennent de former la Fédération informatique et libertés [6] pour lutter contre les attaques tous azimuts dans le domaine de la vie privée. On retrouve parmi les fondateurs Reporters sans frontières, le Gisti, la CNT, Ras l’Front, Chiche !, ou encore Samizdat.net, le fournisseur d’accès Globenet, l’hébergeur Altern et bien d’autres.