Questions à Marina Salles
Marina Salles, docteur es lettres, auteure de plusieurs ouvrages [2] sur le Nobel de littérature, est secrétaire de l’Association des lecteurs de J.-M. G. Le Clézio.
- Vous êtes une lectrice de Le Clézio de la toute première heure, dès le prix Renaudot, en 1963, pour Le Procès-Verbal. Pourquoi ce Nobel aujourd’hui ?
Marina Salles — Ce Nobel arrive bien, le jury a récompensé une grande œuvre littéraire, riche de plus de 50 titres, une prose parfaite, pudique, puissante et musicale. Trop longtemps, on a eu beaucoup de préjugés à l’égard de ses textes, disant qu’il s’agissait d’une littérature pour adolescents. Il a mis du temps à être reconnu par la critique universitaire, son œuvre n’étant pas vraiment comprise. On a procédé à des simplifications. Il aime les grands espaces, le désert, certes. Mais c’est aussi un poète de la ville. De même, J.-M. G. n’est pas un auteur exotique, il déteste ce mot. Il parle toujours de pays qu’il connaît bien. Il ne s’agit pas d’une curiosité superficielle. Son intérêt pour l’ailleurs n’est pas une fuite du monde. Il s’agit au contraire d’une recherche de l’autre, de l’altérité. C’est un passeur, un écrivain sans frontières. Il développe une pensée subtile qui n’est pas manichéenne. Dans Raga, par exemple, il se fait le défenseur d’une certaine forme de métissage. Il a véritablement besoin de rencontrer l’autre. C’est quelqu’un de profondément attentif au monde. Il sait capter la lumière, les bruits d’un lieu.Il est attentif aux plus humbles de la société, aux déclassés. Il dit « écrire pour la gloire des vaincus et non le profit des vainqueurs ». Dans son œuvre, on trouve beaucoup de personnages d’émigrés, d’adolescents en marge. Il évite tout pathos, tout misérabilisme ; il met l’accent sur la fragilité, la force et la dignité, sans toutefois tomber dans une idéalisation naïve.
- Quel rapport Le Clézio entretient-il avec la langue ?
M. Salles — Il affirme que la langue est son « seul véritable pays ». C’est un élément d’ancrage pour un « nomade », quelqu’un qui s’est toujours senti décalé par rapport à la culture française, étant d’origine mauricienne. Il est très sensible à la langue française, comme à toutes les autres langues. Mais il est conscient de l’insuffisance du langage pour traduire la richesse du réel. Pour lui, « le véritable artiste […] est celui qui ne capitule jamais devant le réel ».