Littérature

Le Clézio consacré

, par BARBACCI Christine, SALLES Marina

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J.-M. G. Le Clézio vient d’être récompensé par le prix Nobel de littérature. Son dernier roman, Ritournelle de la faim [1], narre la destinée d’une famille d’origine mauricienne, du début des années 1930 jusqu’à la fin de la guerre.

JMG Le Clézio
© Photo C. Hélie/Gallimard.

Dans le mot ritournelle, qui vient de l’italien ritornello (« refrain »), il y a bien sûr l’idée du retour, de ce qui revient. Or, J.-M. G. Le Clézio, dans le texte inaugural de son dernier roman, Ritournelle de la faim, évoque la faim qu’il a connue enfant, pendant la guerre. « Cette faim est en moi. Je ne peux pas l’oublier », écrit-il. Ce qui ne peut être oublié ne cesse, dès lors, de s’inviter. D’une faim l’autre, l’écrivain va revenir sur la destinée de la petite Ethel, encore enfant à la fin des années 1920.

Si l’entrée en matière n’a pas manqué d’émouvoir le lecteur, le début à proprement parler du roman baigne dans une atmosphère dégoulinante de bons sentiments, qui n’est pas sans rappeler les récits pour jeunes filles de la Bibliothèque de Suzette. Sa meilleure amie, Xénia, jeune Russe blanche exilée, a un je-ne-sais-quoi de David Copperfield… Le grand-oncle, Samuel Soliman, originaire de l’île Maurice, gâte sa nièce, pour qui rien n’est trop beau. Il lui offre une véritable maison en bois, achetée au pavillon de l’Inde lors de l’Exposition coloniale de 1931. Bien sûr, le couple que forment les parents de la petite a traversé une tempête qui soulève encore quelques vagues. Ah, les chanteuses d’opéra…

Le dimanche, cette famille de la grande bourgeoisie tient salon rue du Cotentin, à Paris. On y rencontre des personnages hauts en couleur, à la « parlure » imagée des îles, mais aussi des lecteurs de L’Action française… qu’Ethel est loin d’apprécier. L’impression première du lecteur est vite ravalée, le ton change. Dans les carnets que tient désormais la toute jeune fille, on peut lire la retranscription de ces conversations dominicales, qui ne laissent rien présager de bon. Hitler y occupe une place de choix. L’écrivain n’écrira donc pas le roman du bonheur d’Ethel. Il brossera avant tout une page de l’histoire française. Les carnets d’Ethel rendent de manière magistrale la barbarie qui s’annonce, l’antisémitisme y montre ouvertement son visage : « Maurras l’a écrit dans L’Allée des philosophes : le génie sémite s’est éteint après la Bible. Aujourd’hui, la République est un État sans ordre, dans lequel triomphent les quatre confédérés, les Juifs, les maçons, les protestants et les métèques. »

Alors que la guerre approche, les affaires de la famille périclitent, en raison de la gestion fantaisiste et irresponsable du père. Sans complaisance, l’auteur relate la déchéance progressive des Brun, qui vendent leurs biens un à un, partent se réfugier à Nice, y connaissent une existence miséreuse, taraudée par la faim. Le monde bascule, pour les demi-mondaines aussi. J.-M. G. Le Clézio convoque alors véritablement la figure de Maude, feue la maîtresse du père, qui avait fait tanguer le ménage Brun. On la retrouve mendiante, glanant des légumes pourris pour survivre. Contre toute attente, c’est Ethel qui vole à son secours. L’auteur peint avec beaucoup de pudeur le manque, le suggère plus qu’il ne le montre.

C’est à lui que revient le mot de la fin, toujours avec beaucoup de retenue, enchâssant ainsi son roman dans deux récits cadre autobiographiques. On le retrouve déambulant sur la Plate-Forme où se trouvait autrefois le Vél’d’Hiv, entrant dans le musée photographique jouxtant la synagogue, cherchant des traces dans la ville. Au terme de sa pérégrination, il se retourne pour voir de l’autre côté du fleuve, où l’on aperçoit la Plate-Forme, puis s’arrête pour réaliser que « l’histoire des disparus, c’est ici qu’elle est plantée, pour toujours ». On se souvient alors de l’affirmation qui figurait dans le premier récit : « Être heureux, c’est n’avoir pas à se souvenir. »

Christine Barbacci

P.-S.

Propos recueillis par C. B.

Rouge, n° 2271, 23 octobre 2008.

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