La réaction des marins CGT

Les coupables complaisances

, par GUILLOU-GUGELOT Philippe, JEANNE Pierre

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Rouge s’est entretenu avec Philippe Guillou-Gugelot, secrétaire du Syndicat des marins CGT du Havre.

Le naufrage de l’Erika a relancé le débat sur les pavillons de complaisance. Peux-tu en rappeler le principe ?

Philippe Guillou-Gugelot — ­C’est un peu le même principe que les paradis fiscaux. Ce sont souvent des pays tiers, comme Malte ou Chypre par exemple, qui proposent aux armateurs des prix allant de 50 à 300% moins cher, quant à la taxation sur le tonnage, que les pays européens. Par ailleurs, ces pays disposent de sociétés de classification, bien évidemment payées par les armateurs, qui permettent à des navires de circuler dans n’importe quel état. L’autre avantage de ces pavillons de complaisance, c’est de payer le personnel au ras des pâquerettes. Je prends l’exemple du Marion-Dufresne : les marins malgaches sont payés 1 200F par mois. C’est illégal, mais on nous répond que c’est ce que gagne un médecin à Madagascar. Le marin, lui, paye ses cigarettes et le reste au même prix qu’un marin français. En plus il n’a pas de Sécurité sociale, seulement une indemnité en cas d’accident. Le gouvernement français ferait bien de balayer devant sa porte avant de condamner les pavillons de complaisance, parce qu’avec le statut Kerguelen, il fait exactement la même chose.

Surexploitation du personnel navigant, mais aussi conséquence au niveau des risques écologiques...

P. Guillou-Gugelot —­ Mais tout est lié, bien sûr. Reprenons l’exemple que je citais : un marin malgache fait 10 heures par jour pendant neuf mois, alors que la durée d’embarquement pour un marin français est de deux ou trois mois. Conditions de travail lamentables, état déplorable de certains bateaux et c’est la catastrophe. L’Erika n’aurait pas dû naviguer.

Où en est-on sur les questions de sécurité ?

P. Guillou-Gugelot —­ Il faut savoir qu’un fascicule de marin certifiant les habilitations en matière de sécurité s’achète pour environ 500 dollars en Roumanie. On est donc dans le flou artistique. Il n’y a aucune réglementation européenne sur la question. Ce qu’on peut espérer, c’est que la présidence prochaine de la France au Parlement européen puisse être l’occasion de réglementer un peu les choses. Mais il faut tout de même rappeler que cela fait 20 ans qu’on a régulièrement des marées noires, qu’on en parle beaucoup quand ça arrive, mais que jamais rien n’a été fait pour les prévenir.

On parle en ce moment de former un collectif pour tenter d’imposer des mesures de sécurité dans le transport maritime, qu’en penses-tu ?

P. Guillou-Gugelot — Oui, ce genre de table ronde peut être utile, mais encore faut-il qu’il y ait la volonté politique de changer les choses. Moi je pense qu’il faudrait aller plus loin : on nous a bien parlé « d’ingérence humanitaire » à propos du Kosovo, alors il faudrait imposer une ingérence dans les « affaires maritimes ». C’est simple, il suffirait d’avoir le droit de stopper un bateau en pleine mer, de monter à bord, et de vérifier les conditions de sécurité avant de l’autoriser à continuer sa route...