L’Australien Mike Moore, nouveau directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, espérait-il vraiment, comme il l’avait annoncé urbi et orbi, relancer le Cycle du millénaire immédiatement après l’échec brutal de la conférence de Seattle ? L’assemblée générale de l’OMC, réunie le 17 décembre, n’a pu que constater l’impasse. Après avoir accepté la Jordanie pour 137e membre, elle a approuvé le budget de l’an 2000 mais a reporté toutes les autres décisions, quitte à ignorer la date butoir de la fin 1999 pour les accords concernant la propriété intellectuelle ou les mesures sur l’investissement, quitte aussi à avouer que les engagements de Marrakech, concluant l’Uruguay Round, ne pouvaient être tenus : les négociations sur l’agriculture et les services, en effet, auraient dû être ouvertes au plus tard le premier janvier 2000.
La déclaration adoptée par consensus lors de cette assemblée de l’OMC reconnaît ainsi que « des consultations informelles » restent « nécessaires sur un large éventail de questions, y compris celle des échéances ». Face à l’optimisme forcé de Mike Moore ou de la délégation américaine, des diplomates en viennent même à abandonner leur habituel ton policé, tel l’ambassadeur de Suisse qui a déclaré sans ambages que « le texte discuté à Seattle est aujourd’hui abandonné. Cette base de discussion a disparu » (Le Monde, 1er janvier).
Rendez-vous
Les apôtres du libéralisme assurent qu’ils vont tirer des leçons de Seattle, en accordant un peu plus d’attention démocratique à la « transparence », nouveau mot à la mode. Néanmoins, leur principal souci semble tout autre : ne plus offrir aux mouvements contestataires l’occasion de converger en nombre, sur le plan international. Ainsi, une manifestation doit se dérouler, fin janvier, dans la station alpine suisse de Davos, à l’occasion de la réunion annuelle de l’ultralibéral Forum économique mondial. Initialement autorisée, cette manifestation a finalement été interdite sous prétexte que le président américain Clinton compte honorer le Forum de sa présence. Gageons donc que l’OMC, dans les mois qui viennent, favorisera les consultations discrètes et cherchera à laver son linge sale (il y en a beaucoup !) en famille.
Dans le feu de l’action, les mouvements et réseaux internationaux présents à Seattle n’ont pas eu le loisir de se réunir, début décembre, pour faire le point à chaud et choisir la date d’un nouveau grand rassemblement commun. Mais de nombreux contacts ont été établis et, dans les mois qui viennent, les occasions de se rencontrer ne vont pas manquer en utilisant notamment à cette fin divers rendez-vous « institutionnels ». Durant le premier semestre 2000, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) se réunit à Bangkok en février, la campagne américaine « 50 ans, ça suffit » prépare en avril une importante initiative à Washington au moment de l’assemblée générale du FMI et de la Banque mondiale, le bilan quinquennal de la conférence de Copenhague sur les questions sociales sera tiré à Genève (où se trouve le siège de l’OMC) en juin prochain, sans oublier le sommet du G7 à Okinawa en juillet qui représente une nouvelle échéance majeure pour le mouvement contre la dette du tiers monde...
Dans la mesure où ils sont l’occasion de mobiliser des mouvements syndicaux, associatifs et sociaux, tous ces rendez-vous institutionnels vont se situer dans « l’après Seattle ». Ils devraient permettre de répondre rapidement à la question : « quand et comment rebondir ? » L’écho international des mobilisations de la fin novembre 1999 a en effet été considérable, non seulement parce que l’OMC n’a pu qu’afficher ouvertement sa crise, mais aussi parce que le potentiel de convergence des résistances à la mondialisation néolibérale s’est manifesté de manière particulièrement spectaculaire — et ce jusqu’aux Etats-Unis, là où souvent on ne l’espérait plus ! [1] Pour ces deux raisons, Seattle représente bel et bien un tournant, ouvrant des possibilités nouvelles pour la reconstitution d’un internationalisme des mouvements citoyens et sociaux. Du fait même de son succès, elle assigne aussi de nouvelles responsabilités aux syndicats, associations, ONG ou organisations politiques engagés dans le combat pour la transformation sociale.