Réforme de l’assurance maladie Hold-up libéral

, par DELAVIGNE Jean-Claude

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La décision du ministre de la Santé, Jean-François Mattei, de faire passer de 65 à 35% le remboursement de 617 médicaments est un avant-goût de ce que prépare le gouvernement pour l’automne : l’ouverture généralisée du « marché de la santé » aux assurances privées et la privatisation des secteurs les plus rentables de l’hôpital public.

Au moment même où il allait signer le décret faisant passer de 65 à 35% le remboursement de 617 médicaments, Jean-François Mattei, ministre de la Santé, recevait le rapport Chadelat (voir Rouge du 17 avril) qui doit servir de base à sa « réforme » de l’assurance maladie. Jean-François Chadelat, ancien responsable d’AXA, écrit (page 19 du rapport) : « Ce qui a été fait pour le médicament devra nécessairement être fait pour la totalité des dépenses de santé, et ce dans un très grand degré de détail. »

De la Sécurité sociale à la « couverture maladie généralisée »

« Compagnies d’assurances et mutuelles se préparent à une ouverture du marché de la santé », titrait Le Monde du 24 avril. Tel est bien la perspective ouverte par le gouvernement Raffarin. Partant du constat que 80% des assurés sociaux ont une assurance complémentaire, le gouvernement envisage de substituer une couverture maladie généralisée à la Sécurité sociale. Cette perspective est largement relayée par la CFDT, qui préside actuellement l’assurance maladie.

Aujourd’hui couverture obligatoire pour tous, l’assurance maladie deviendrait une assurance médicale obligatoire (AMO, premier niveau de l’édifice). Son rôle serait réduit au profit d’une assurance médicale complémentaire (AMC) facultative (deuxième niveau). Des « aides » seraient apportées pour permettre aux plus petits revenus d’accéder à cette complémentaire. L’AMC pourrait être financée en partie par les employeurs. Au coeur de ce projet se trouve le « panier de soins », c’est-à-dire une définition très rigoureuse des soins remboursés tant par l’assurance obligatoire que par les complémentaires. Hors de ce panier, il faudra faire appel à une assurance individuelle entièrement à la charge des assurés sociaux (troisième niveau). Le gouvernement généralise ainsi le dispositif mis en place par la gauche avec la couverture maladie universelle (CMU).

Quelles seraient les conséquences de cette contre-réforme ?

D’une part, la partie la plus précarisée de la population renoncera, malgré les aides gouvernementales, à souscrire à une assurance complémentaire et devra se contenter de l’assistance ou de l’humanitaire.

D’autre part, la réduction de la place de l’assurance maladie obligatoire aura pour conséquence l’explosion des tarifs des mutuelles et des assurances. Aujourd’hui la Sécurité sociale prend en charge 75% des dépenses de santé (112 milliards d’euros) et les complémentaires 18,9 milliards. On peut ainsi estimer que le report sur les complémentaires des dix milliards d’euros de prétendu déficit prévu en 2003 pour l’assurance maladie aurait pour conséquence une augmentation de 60 à 70% des cotisations des assurés des mutuelles. L’habileté va consister à justifier cette montée en puissance des assurances complémentaires par le biais de soins mal remboursés par la Sécurité sociale : les soins dentaires et l’optique.

La gestion commune du « panier de soins » par l’assurance obligatoire et les complémentaires permettrait aux assureurs de s’introduire dans la gestion de l’ensemble de la couverture sociale, y compris le régime de base, et donc d’imposer leurs choix et leurs critères.

Le principal avantage pour le MEDEF et le patronat réside dans la diminution des soins remboursés par l’assurance maladie et financés majoritairement par des cotisations sociales, c’est-à-dire par lesemployeurs. Cette baisse des charges n’est rien d’autre qu’une diminution du coût du travail, cheval de bataille du patronat. Le second avantage pour le patronat est d’ouvrir grand le marché de l’assurance, jusque-là limité par la place de la Sécurité sociale.

L’hôpital livré aux lois du marché

Attentes aux urgences, pénurie de lits dans les services hospitaliers, délais d’attente de plus en plus longs pour des consultations : ces réalités s’imposent chaque jour davantage dans le paysage hospitalier français. Elles ne doivent rien au hasard, à l’imprévoyance ou à l’incompétence. C’est au contraire la conséquence d’une politique de restructurations menée avec la même détermination par la droite (Juppé-Barrot) et par la gauche (Jospin-Aubry-Guigou-Kouchner).

La dégradation du système hospitalier, accessible à tous, est une condition pour mettre en place un système à deux vitesses. Ceux qui n’auront pas les moyens de payer devront patienter et se faire soigner dans un hôpital de qualité médiocre. Cette politique s’est accompagnée d’une accélération de la privatisation des secteurs les plus rentables de l’hospitalisation (comme la chirurgie).

Le plan « Hôpital 2007 » engagé depuis l’automne par Jean-François Mattei marque une nouvelle étape de l’offensive libérale. Présenté comme un plan de rénovation du parc hospitalier, il a surtout pour but de créer un marché de l’hospitalisation au sein duquel l’hôpital public et les cliniques privées sont mis en concurrence, et où l’hôpital est sommé de fonctionner sur le modèle du privé pour survivre.

La mise en concurrence sera généralisée en 2004 selon le principe de la « tarification à l’activité ». Il s’agit de définir pour chaque maladie un « coût » moyen et de mettre en compétition les différents établissements qui se placent sur le « marché » de cette maladie. Les conséquences sont évidentes :
— le secteur privé se précipitera sur les maladies les plus lucratives, pour lesquelles il affirmera sa compétitivité, laissant les pathologies lourdes, coûteuses et dévalorisées au secteur public hospitalier ;
— les petits établissements de proximité, nécessairement moins « rentables », déjà victimes de nombreuses fermetures, subiront le même sort que les petites entreprises face aux géants de l’industrie ;
— au sein même des établissements, les services « peu compétitifs », qui accueillent des maladies rares, seront aussi contraints à la fermeture ou à la restructuration.

C’est le malade qui fera les frais de cette mise en concurrence : mieux vaudra habiter une grande ville et avoir une maladie courante dans la région, ainsi qu’une bonne complémentaire, qu’être pauvre, habiter à la campagne et avoir une maladie rare !

La régionalisation du système de santé, renforcera ces inégalités : une ordonnance de « simplification administrative » prévoit en effet la suppression de la carte sanitaire qui fixait des normes nationales d’équipements (le nombre de lits pour les différentes spécialités, le nombre de scanners, etc.). C’est désormais le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation (au sein de laquelle vont siéger les élus régionaux) qui arrêtera, indépendamment de toute règle nationale, les « schémas régionaux d’organisation sanitaire ». Il aura pleins pouvoirs pour fermer et restructurer les établissements. Cette agence devrait se transformer en « agence régionale de santé » ayant autorité tant sur la médecine de ville que sur l’hospitalisation.

La gestion des établissements publics va être « modernisée » sur le modèle des entreprises privées : le pouvoir presque absolu appartiendra à un « comité stratégique » composé du directeur et de quelques médecins-managers, qui seront financièrement intéressés aux « résultats » de l’hôpital-entreprise. Si les « objectifs » de « l’établissement de production de soins » (expression désormais utilisée) ne sont pas réalisés, ils seront remerciés au bout de quatre ans. La compétition sera organisée entre les différents « pôles » de l’établissement avec intéressement des personnels aux résultats de l’entreprise (adieu les statuts de la fonction publique). Quant aux instances traditionnelles de l’hôpital (conseil d’administration, représentation des médecins et du personnel hospitalier), elles seront totalement marginalisées. Enfin, l’assouplissement des règles des marchés publics ouvrira la porte à toutes les dérives...

Les propositions de la LCR

Nos contre-propositions s’articulent autour de la notion de droit à la santé, qui comprend l’accès gratuit de tous à l’ensemble des soins. Dire que la santé n’est pas une marchandise, c’est dire que ce besoin essentiel doit être satisfait sans passer par les lois du marché, inévitablement porteuses d’inégalité sociale, et par un hôpital public non soumis à la concurrence.

Nous affirmons donc la nécessité d’une seule et unique assurance maladie, couvrant la totalité des soins pour tous. Ce qui passe notamment par :
— la généralisation du tiers-payant évitant toute avance de fond de la part des assurés sociaux ;
— l’abrogation du ticket modérateur sur les soins de ville (visites médicales, pharmacie...) ;
— l’abolition du forfait journalier pour l’hospitalisation ;
— la disparition du secteur 2 (honoraires libres) et des lits privés à l’hôpital ;
— la gestion de l’assurance maladie par des représentants des assurés sociaux élus et contrôlables.

Nous sommes pour une prise en charge citoyenne de la santé, qui passe par une véritable éducation sanitaire de la population, dès son plus jeune âge, et par une politique de prévention, à l’opposé de la « responsabilisation » par l’argent revendiquée par Mattei. Celle-ci place au contraire le patient en situation de « consommateur de soins » capable de s’offrir même des soins totalement inutiles... pourvu qu’il en ait les moyens.

Une authentique politique égalitaire de la santé implique :
— l’expropriation et la mise sous contrôle public des trusts pharmaceutiques ;
— l’expropriation de l’ensemble des établissements de santé privés et l’intégration à l’hôpital public, avec le statut de personnel hospitalier public, de l’ensemble de leur personnel ;
— un fonctionnement démocratique et transparent de l’hôpital public ;
— une planification démocratique des équipements sanitaires sur la base des besoins de santé de la population et non sur des critères de rentabilité. Les ouvertures et fermetures d’équipements doivent être débattues et décidées par les populations concernées, lors d’un débat public et contradictoire, éclairé par les professionnels de santé.

Repères : 617 médicaments partiellement déremboursés

Les 617 médicaments remboursés désormais à 35% (au lieu de 65%) sont, contrairement à ce que voudrait faire croire le gouvernement, des médicaments utiles. Certains (Voltarène, Zyrtec, Vogalène) sont des références et répondent à des besoins thérapeutiques pour des millions de Français. On y trouve même un vaccin comme le D.T.Coq (diphtérie, tétanos, coqueluche), obligatoire et certifié au carnet de vaccination.

Sous prétexte de « service médical rendu insuffisant », il s’agit de faire basculer une partie des remboursements de l’assurance maladie (la Sécu) vers les assurances complémentaires. Dès lors, celles-seront conduites à augmenter leurs tarifs.

C’est donc en fin de compte l’assuré qui paiera (s’il en a les moyens...), ou qui devra renoncer à se soigner. C’est d’ailleurs ce que dit très ouvertement le rapport Chadelat, bible de Jean-François Mattei :
« Ce qui est insuffisant n’est par définition pas nul, mais c’est à l’évidence non prioritaire au sens de la prise en charge par la solidarité nationale. » Les seuls à n’avoir pas protesté contre la décision du gouvernement sont les laboratoires pharmaceutiques, qui ont négocié de très larges compensations. Le déremboursement aura des conséquences pour les patients, mais pas sur les profits. L’Etat vient en effet d’accepter le remboursement à des prix très élevés de nouveaux anti-inflammatoires qui n’apportent pas d’amélioration thérapeutique.

Comme le disait Jacques Chirac pendant sa campagne : « Dans un système libéral, la question qui se pose est celle des dépenses d’assurance maladie et non des dépenses de santé. » Sur ce point au moins, il aura (hélas) tenu ses promesses !

P.-S.

Rouge, n° 2017, 15 mai 2003.

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