Santé. La bourse ou la vie

, par ANDRÉA Philippe

Recommander cette page

L’industrie pharmaceutique fait de la Santé un secteur comme les autres, qui doit être rentable. Les récentes décisions du gouvernement français quant aux prix des médicaments ne font qu’aller dans ce sens.

Les médicaments ne cessent d’occuper la une de l’actualité. On meurt de ne pas en disposer dans les pays pauvres ; on meurt de trop en consommer dans les pays riches. Ainsi la deuxième Conférence sur le sida a permis de rappeler que 95% des personnes qui dans le monde devraient pouvoir bénéficier d’une trithérapie en sont privées. Mais en France, 18 000 personnes meurent chaque année à cause d’un médicament. Dans les pays riches, l’abus de médicaments est en train de devenir la quatrième cause de mortalité.

Depuis 1975, le nombre de médicaments vraiment innovants est en plein déclin. Les rares innovations mises sur le marché (comme les trithérapies) sont désormais réservées à une minorité de la population mondiale. Pour maintenir ses profits actuels il faudrait que Pfizer, premier laboratoire pharmaceutique au monde, mette sur le marché deux nouveaux blockbusters (médicament réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus d’un milliard d’euros) chaque année. Il n’a pas réussi à en sortir un seul depuis 1999 (le Viagra).

À court terme, les fusions permettent de masquer le problème. Ainsi, le groupe Aventis (fusion en 1999 de Rhône-Poulenc et Hoescht) vient de fermer son unité de recherche de Romainville. C’était le dernier centre de recherche privé sur les maladies infectieuses en France. Cela au moment même où ce type de maladies menace à nouveau l’ensemble du monde.

Les laboratoires pharmaceutiques mènent aussi une bataille acharnée sur les brevets (qui leur donnent l’exclusivité de l’exploitation d’un nouveau médicament). Le temps de protection des brevets sur les médicaments est déjà passé de 20 à 23 ans en Europe. Suite aux accords de l’OMC, tous les pays devront adopter cette règle des brevets en 2005. Que se passera-t-il dans un pays de plus d’un milliard d’habitants comme l’Inde quand il appliquera cette législation qui augmentera le prix des médicaments de façon drastique ?

L’autre bataille est celle des prix. En France, le gouvernement annonce le déremboursement de médicaments inefficaces. Il est vrai que le libre accès pour tous aux mêmes soins de qualité ne passe pas par la défense de tous les médicaments existants. Mais peut-on faire confiance aux experts actuels qui décident en secret et ont régulièrement renouvelé l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de ces médicaments. Tout récemment, ils ont accepté sans problèmes les dossiers fournis par des laboratoires concernant une nouvelle classe d’anti-inflammatoires (comme le Celebrex) et ont accordé un prix trente fois supérieur aux médicaments de référence. Quand on s’est aperçu que les dossiers avaient été « arrangés », les mêmes experts ne sont pas revenus sur leur décision. C’est donc aussi le statut de ces médicaments-là, de fausses innovations, qu’il faut réviser.

Mais la mesure prise par Raffarin en cache une autre : désormais les médicaments qui seront reconnus comme des innovations par les experts auront un prix librement fixé par le laboratoire. Cette mesure nous alignerait sur les Etats-Unis où le prix de détail des médicaments est souvent 50% plus cher qu’en France. Mais ce n’est qu’une apparence : les caisses privées qui assurent les salariés négocient âprement les prix et, selon un rapport du syndicat AFL-CIO, les rabais seraient de l’ordre de 50%. Les prix ne sont donc très élevés que pour les plus pauvres sans couverture sociale. En acceptant désormais, sans négocier, les prix demandés par les industriels, la France deviendra le pays le plus libéral au monde.

Il faut, dans ce domaine, apprendre à contester le pouvoir des experts et constituer un contre-pouvoir en demandant à la Fédération de la mutualité française, aux OGN, aux associations de patients, à la revue Prescrire, aux syndicats, de refuser tout ce qui renforce le pouvoir de l’offre (donc des industriels). Ils l’ont déjà fait en s’opposant au projet de directive européenne autorisant la publicité grand public pour les médicaments vendus sur ordonnance.

P.-S.

Rouge, n° 2027, 24 juillet 2003.

Pas de licence spécifique (droits par défaut)