Femmes et retraite

Sois vieille... et tais-toi

, par TERMINIÈRE Pauline

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Avec 848 euros de retraite par mois en 2001, les femmes ont disposé d’un montant inférieur de 42% à celui des hommes. Comment expliquer de telles inégalités et comment y rem édier ? « Femmes et retraites » a été l’un des thèmes débattus lors des Journées intersyndicales droits des femmes [1]) (voir page 14) des 20 et 21 mars à la Bourse du travail de Saint-Denis.

De 1993 à 2003, de Balladur à Raffarin, les conséquences des attaques libérales contre les retraites ont fait l’objet de nombreuses analyses et critiques. Bien peu ont été celles qui ont mis en exergue les conséquences sur les femmes. Les données de la direction régionale de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), publiées en juillet 2002, dressent pourtant un tableau accablant en la matière (voir encart ci-dessous).

Les femmes, avec 848 euros bruts (6 784 francs) [2] de retraite par mois, disposaient en 2001 d’un montant inférieur de 42% à celui des hommes (1 461 euros). Force est de constater que le système actuel, non seulement reflète les inégalités de la vie professionnelle et sociale, mais les amplifie. Et les nouvelles attaques du gouvernement ne vont faire qu’empirer la situation.

Reflet des inégalités professionnelles et sociales

Le niveau de retraite de chacun dépend évidemment du niveau de salaire perçu par la même personne au cours de son activité. Les inégalités de salaires conduisent donc mécaniquement à des inégalités de retraites. Mais quand s’ajoutent aux inégalités de salaires des inégalités professionnelles et sociales — ce qui est le cas pour les femmes — ce sont des retraites encore plus inégalitaires qui sont versées.
La retraite reflète et amplifie les inégalités de la vie professionnelle et sociale : le salaire moyen des hommes en France est 25% plus élevé que celui des femmes, tandis que les pensions moyennes des hommes sont 73% plus élevées que celui des femmes. La faiblesse des retraites perçues par les femmes s’explique par des carrières souvent brèves et moins rémunérées.
En effet, les femmes assurent 80% des responsabilités en matière d’éducation des enfants, de tâches domestiques et de soins aux proches. Ces charges, ainsi que les éventuelles interruptions d’activité pour élever les enfants, pénalisent leur carrière professionnelle et diminuent d’autant les durées de cotisations (seuls 39% retraitées ont effectué une carrière complète). C’est la raison pour laquelle les femmes prennent en moyenne leur retraite deux ans plus tard que les hommes pour augmenter leur trop faible nombre d’annuités de cotisation.
Malgré la persistance de ces inégalités de salaire et d’activité entre hommes et femmes, les inégalités en termes de retraite tendaient pourtant à se réduire au cours du temps. L’accroissement continu de l’activité des femmes, depuis les années soixante, favorisé par le développement des structures d’accueil de la petite enfance, explique cette tendance. Cependant, ce mouvement va se ralentir, voire s’inverser, avec le développement des emplois précaires [3] et du temps partiel [4], qui concernent essentiellement les femmes, et avec les mesures Balladur.
Parmi celles-ci, l’allongement, en 1993, de la durée de cotisation de 37,5 à 40 ans et le passage des dix aux vingt-cinq meilleures années pour le calcul du salaire de base pénalisent beaucoup plus les femmes parce qu’elles ont des carrières écourtées et fractionnées. L’extension de l’allocation parentale d’éducation (APE) dès le deuxième enfant, mise en place en 1994, a été responsable de la sortie d’activité de nombreuses femmes de 25 à 44 ans, majoritairement issues des milieux populaires. Conséquence de cette mesure, entre 1994 et 1997, le taux d’activité des femmes qui pouvaient prétendre à l’APE a chuté de 15%, passant de 70% à 55%. Actuellement, près de 500 000 femmes en sont prestataires.
Leur nombre a été multiplié par trois entre 1994 et 2000 (et même par cinq pour les bénéficiaires mères de deux enfants).
Le gouvernement Raffarin est en train de préparer une « prestation de libre choix », dont les contours sont encore imprécis mais qui poursuivra cette politique et désavantagera l’accueil collectif au profit de solutions individuelles dont seront exclues les couches populaires.

Favoriser l’activité des femmes

Pour régler à terme la question des retraites des femmes dans une logique égalitaire, il faut donc favoriser l’activité des femmes, leur permettre une carrière continue, à temps plein, et réaliser l’égalité professionnelle. Cet objectif permet en outre une amélioration du financement des retraites en augmentant le nombre de cotisants. En effet, le travail des femmes, loin d’être facteur de chômage, est créateur d’activités nouvelles. Or, six femmes au foyer sur dix souhaitent avoir un emploi. On estime que l’ensemble de la population active peut ainsi augmenter de 15%.
Viser au plein emploi et augmenter le taux d’activité des femmes implique de développer un service public de garde de la petite enfance et des services de proximité et d’aide à la dépendance. Cela suppose aussi de revenir sur des allocations comme l’allocation parentale d’éducation qui, sous une apparence de neutralité, s’adresse de fait aux femmes (99% des bénéficiaires) et a pour conséquence leur retrait du marché du travail et des difficultés accrues pour y retourner.
Parallèlement, des mesures doivent être prises pour pénaliser les employeurs qui imposent le temps partiel : une majoration du taux de cotisation sur le temps partiel servirait à compenser les retraites partielles. Le temps partiel imposé doit ainsi être ramené à du temps plein pour le calcul de la pension.
Une revalorisation des salaires — en particulier des salaires des femmes qui représentent 80% de ceux des hommes —, qui ne serait d’ailleurs qu’une simple mesure de justice, contribuerait à une augmentation des cotisations perçues. Cette revalorisation est possible : au cours des vingt dernières années, la part des salaires dans la richesse produite a baissé de 10% ; ces dix points peuvent être récupérés par un nouveau partage des gains de productivité en faveur des salaires et non plus des profits financiers.
Les « abattements » sur le montant de la pension — qui pénalisent à l’excès les carrières courtes en réduisant fortement la pension pour chaque trimestre manquant — doivent être supprimés. Les périodes d’inactivité subie doivent être validées comme durée ouvrant droit à pension. Les bonifications pour enfant ne doivent pas être proportionnelles au montant de la pension mais doivent être assimilées à un forfait (au minimum basé sur la bonification moyenne actuelle).
L’amélioration des retraites des femmes, mais aussi des retraites en général, est étroitement liée aux politiques sur l’emploi et la famille. La réforme des retraites doit viser une meilleure répartition du travail rémunéré et non rémunéré (éducation des enfants et tâches domestiques) entre les hommes et les femmes. Seul cet objectif permet de concilier égalité et amélioration du financement des retraites pour tous et toutes.

Repères :

De fortes inégalités entre les hommes et les femmes.
— En 2001, les femmes retraitées ont touché en moyenne 848 euros (6 784 francs) par mois et les hommes retraités 1461 euros (11 688 francs).
— En ce qui concerne les seules pensions de droit direct (c’est-à-dire hors bonifications pour enfants et hors réversion lors du décès du conjoint), les femmes ont touché 650 euros et les hommes 1 383 euros, soit plus du double. Chez les fonctionnaires, l’écart est moins grand : les pensions des hommes sont « seulement » 30% plus élevées que celle des femmes.
— Les bonifications pour enfants étant proportionnelles au montant des pensions, elles rapportent deux fois plus aux hommes qu’aux femmes : 129 euros contre 64 euros.
— En 1997, trois retraités sur dix ont perçu une retraite inférieure au minimum vieillesse : parmi eux, 83% de femmes.
Ces faibles retraites concernaient 41% des femmes et 11% des hommes.
— Parmi les retraités, 85% des hommes ont effectué une carrière complète contre seulement 39% des femmes. En outre, 60% des carrières incomplètes ont eu une durée inférieure à 25 ans.
— Les femmes prennent en moyenne leur retraite deux ans plus tard que les hommes (pour augmenter leur trop faible nombre d’annuités de cotisation).

Notes

[1Cet article s’est très largement appuyé sur les documents fournis lors de ces journées, notamment par Christiane Morin, dont nous publions ci-dessous une interview.

[2L’échantillon utilisé exclu pourtant les 5% de retraités qui n’ont jamais travaillé et qui touchent seulement des avantages de reversion suite au décès de leur conjoint.

[3Les femmes rémunérées au Smic sont 2,5 fois plus nombreuses que les hommes, et 80% des travailleurs pauvres touchant moins de 750 euros par mois sont des femmes.

[4Prés d’un tiers des femmes salariées sont à temps partiel, tandis que 85% des emplois à temps partiels sont occupés par des femmes.

Source

Rouge, n° 2010, 27 mars 2003.

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