Voilà un an, Chirac énonçait le contenu de sa loi contre le voile à l’école. Emmanuel Siegelmann et Catherine Samary, qui défendaient la position minoritaire sur cette question, tirent aujourd’hui le double bilan des effets de cette loi et du positionnement voté majoritairement par notre direction nationale (DN).
Le ministère de l’Éducation nationale a semé l’illusion d’une rentrée 2004 pacifiée par une loi censée régler la question du voile à l’école. Apparence trompeuse. La prise en otage des journalistes français en Irak a lourdement pesé. D’une part, toute velléité de résistance à la loi risquait d’être présentée comme complice des preneurs d’otages. D’autre part, les conseils de disciplines, qui devaient initialement trancher au bout de deux semaines de « débat » — entendez : mise en quarantaine — ont été retardés au maximum, certains d’ailleurs n’ont pas encore eu lieu. Les chiffres officiels sont minorés. Le ministère annonce 596 « cas réglés », dont une quarantaine d’élèves « choisissant » de poursuivre leurs études au Centre national d’enseignement à distance (CNED), une poignée se tournant vers l’enseignement privé. Et une autre quarantaine passant en conseil de discipline. Le plus difficile à évaluer est l’ampleur de l’humiliation ressentie, sans le moindre début d’émancipation. En cette rentrée, nulle « offensive islamiste » qui, si elle avait eu lieu, se serait appuyée sur la prise d’otages. On a plutôt constaté un alignement des organisations musulmanes dominantes sur le gouvernement. Aucun progrès d’une laïcité respectueuse de l’égalité de traitement de toutes les confessions, mais des discriminations criantes en Alsace-Moselle, et un encouragement au rejet général des femmes voilées.
Les mois écoulés dissipent l’illusion d’équilibre de la position votée majoritairement par la direction nationale (DN) de la LCR : « Contre le voile et contre la loi ». Qu’avons-nous fait concrètement contre la loi ? Contre les exclusions ? Si nous sommes sincèrement contre cette loi, nous devons en réclamer l’abrogation, comme pour les lois sur les retraites, la Sécu ou l’immigration.
Le caractère essentiellement discriminatoire de cette loi se mesure aux effets qu’elle produit dans l’école (exclusions scolaires plus que décuplées par rapport à l’an passé, encouragement aux écoles confessionnelles et privées), mais aussi en dehors de l’école. Des inspections académiques se croient fondées à interdire aux mères voilées de participer à des accompagnements de sorties scolaires. Des facultés commencent à interdire l’inscription d’étudiantes voilées. Des entreprises prétendent justifier par cette loi des discriminations à l’embauche. La préfecture de Bobigny, en toute illégalité, exclut les femmes voilées de la cérémonie de remise des décrets de naturalisation, au nom de Marianne et de La Marseillaise. Des femmes voilées, comme Ouarda Bouatti, sont sauvagement agressées par de courageux Dupont-Lajoie sur le parking d’un supermarché de Mulhouse. En Belgique, des fascistes flamands menacent de mort ceux qui emploient des femmes voilées. Il va jusqu’où l’espace public dont on prétend exclure les porteuses de foulard ? Le lien est évident entre cette loi et le développement d’une forme de racisme en Europe : l’islamophobie. Il ne s’agit pas là de blasphèmes, mais d’un racisme ciblant une catégorie de personnes, les musulmans, soupçonnés de menacer l’identité chrétienne de l’Europe.
Alors que débute l’année du centenaire de la loi de 1905, il convient de rappeler que celle-ci n’a jamais prétendu imposer la neutralité confessionnelle aux usagers des services publics, encore moins aux élèves. Elle s’applique à l’institution. Elle n’a pas non plus à être encensée : elle prévoit l’entretien des aumôneries par l’État. La loi Chirac-Ferry a ouvert une brèche dans laquelle Sarkozy s’engouffre en vue d’augmenter le financement public des Églises.
Parmi les bonnes résolutions que nous pouvons prendre pour 2005, définissons concrètement comment nous entendons combattre la loi Chirac-Ferry et les exclusions. Et contribuons, avec le collectif Une école pour tous/toutes, au développement de fronts pour des droits et des valeurs, contre toutes les discriminations, en solidarité avec les femmes qui s’opposent au port imposé du foulard et contre toute exclusion de celles qui décident de le porter.