Au lendemain de la remise du rapport du Haut Conseil sur l’avenir de l’assurance maladie, le gouvernement peut afficher sa satisfaction. Il est parvenu à obtenir un consensus regroupant du Medef à la CGT en passant par les représentants de l’UMP, du PS et de la Mutualité française. Il y aurait accord sur le constat, mais les propositions resteraient à négocier. Ce rapport n’a pourtant rien d’un simple « constat ». Malgré la prudence des formules, il débouche logiquement sur une « réforme » libérale creusant l’inégalité dans l’accès aux soins. Il n’y a donc pas une minute à perdre pour briser le consensus autour du « diagnostic partagé ». Pour cela, il faut démonter point par point les pseudo-arguments du Haut Conseil, convaincre de la dangerosité des projets libéraux qu’il esquisse, démontrer qu’il existe d’autres solutions.
Dès ses premières lignes, le rapport décrit une situation dramatique et sans issue : si l’assurance maladie est « aujourd’hui un de nos biens communs les plus précieux [...], l’ampleur et la dynamique de son déficit [...] la placent aujourd’hui en situation de grave péril ». C’est la reprise mot pour mot de l’argumentation utilisée pour les retraites, mais avec des arguments beaucoup plus faibles. On ne soulignera jamais assez le ridicule de « prévisions » sur 20 ou 40 ans, quand les mêmes « experts » sont incapables de prévoir les dépenses et les recettes de l’assurance maladie pour l’année suivante.
De manière assez stupéfiante, les causes de l’insuffisance des recettes de l’assurance maladie ne sont pas abordées. Le rapport mentionne tout juste, de manière vague : « Cette situation résulte évidemment pour partie d’éléments conjoncturels liés au fléchissement de la croissance économique ». Mais c’est pour ajouter immédiatement : « Toutes les expertises se rejoignent pour admettre la présence d’effets structurels largement dominants. » Il n’y a pas un mot d’analyse sur l’importance du manque à gagner dû au chômage de masse (100 000 chômeurs, c’est un milliard d’euros en moins pour l’assurance maladie), ni sur la diminution des recettes qu’entraînent les exonérations de cotisations faites aux patrons depuis plus de vingt ans (21 milliards d’euros par an), ni sur les dettes patronales (1,9 milliard d’euros) auxquelles il faut ajouter les 4,2 milliards d’euros de dette de l’Etat. Concernant les recettes, la seule augmentation envisagée est celle de la CSG, en particulier sur les revenus de remplacement, jugés favorisés. Enfin, pourquoi faudrait-il s’alarmer de l’augmentation des dépenses de santé ? Au fil de son développement, les besoins d’une société évoluent. La part de l’alimentation et de l’habillement décroît régulièrement au fur et à mesure que ces besoins sont satisfaits (même mal). À l’inverse, la part d’autres besoins autrefois non satisfaits augmente. [1] Le Medef et la droite ne rejettent d’ailleurs pas cette perspective. Leur objectif n’est pas la baisse des dépenses de santé, mais celle des coûts salariaux, donc la réduction massive des cotisations sociales. Ils veulent ainsi contraindre chacun à contribuer individuellement à ses soins. Ils sont rejoints sur ce terrain par la « gauche » et les directions syndicales sociales-libérales.
La Sécurité sociale, assurance obligatoire solidaire, est parfaitement en mesure de faire face aux échéances à venir. Cela nécessite seulement d’autres choix politiques. Une part plus importante des richesses produites doit financer les besoins de santé de la population. Une fois accepté le diagnostic du Haut Conseil, les conclusions sont inéluctables. Sans jamais la citer, le rapport reprend l’une des propositions centrales du rapport Chadelat, le « panier de soins » remboursables par l’assurance maladie, au-delà desquels c’est le malade, ou son assurance complémentaire, qui doit payer. L’adhésion du PS, de la CFDT et de la Mutualité française à cette version du rationnement des soins était attendue. Le succès du gouvernement est d’y avoir, au moins partiellement, gagné la CGT.
Une meilleure organisation du système de santé est certes nécessaire, mais elle ne saurait s’appuyer sur la diminution des soins remboursés à tous, quel qu’en soit le prétexte, ni sur la culpabilisation des usagers. Pour s’en prendre réellement aux « gaspillages », il faudrait mettre fin à la pratique libérale de la médecine à l’acte, mettre en place des politiques de prévention et d’éducation sanitaire, exproprier ceux qui font du profit sur la maladie (labos pharmaceutiques et cliniques privées)...