Plusieurs enquêtes éclairent le sens du conflit franco-iranien [1]. L’histoire commence en 1974, quand Giscard, président, et Chirac, Premier ministre, signent un accord avec le shah : l’Iran prête un milliard de dollars à Eurodif, le consortium qui doit produire l’uranium enrichi nécessaire aux centrales et aux armes atomiques, et devient actionnaire de cette entreprise à hauteur de 10%, bénéficie du droit d’enlever 10% de l’uranium enrichi produit, achète des centrales nucléaires à Framatome. En 1975, Chirac signe un accord avec l’Irak, comprenant un réacteur nucléaire. Les deux pays affirment haut et fort leur volonté de disposer de l’arme nucléaire.
La révolution iranienne de 1979 bouscule les plans des grandes puissances. Quand le régime des ayatollahs réclame que l’accord passé avec l’Etat iranien soit honoré, Francais et Etats-Uniens refusent de donner la bombe à cet « allié » si imprévisible. La France rompt l’accord Eurodif : c’est là la vraie source du conflit, et non un simple litige financier comme on le présente habituellement.
Chantage terroriste
L’Iran se lance alors dans une campagne d’attentats, d’assassinats et d’enlèvements, en 1985 et 1986. Les revendications de leurs auteurs contiennent toujours, parmi d’autres, celle du « règlement du contentieux Eurodif ». À la veille des élections de 1986, les enlèvements se multiplient, Téhéran mise sur la défaite de la gauche et mène une négociation parallèle avec la droite. Chirac promet, s’il gagne l’élection, de reprendre les négociations sur Eurodif, ce qu’il fait dès son arrivée au gouvernement. P. Rochot et G. Hansen sont libérés. Il semble qu’alors Paris envisage une solution de rechange discrète pour livrer de l’uranium à l’Iran par le biais du Gabon, sixième producteur mondial et pion essentiel de la Françafrique. Mais à cette époque, les dirigeants du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), les USA et Mitterrand résistent encore à l’idée d’ouvrir à l’Iran les portes du club nucléaire. Donc la « guerre » continue. En novembre 1986, Georges Besse, fondateur du CEA et d’Eurodif, est assassiné. Le soir même, le gouvernement Chirac fait un versement de 330 millions de dollars à l’Iran. En décembre 1986, puis en janvier 1987, Chirac reçoit le vice-Premier ministre iranien, Moayeri, également président de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, pour négocier la libération des otages. Michel Baroin, personnage clé de l’histoire du nucléaire français, hostile à l’accord avec l’Iran, dénoncera publiquement ces négociations entamées par Chirac. Il disparaît deux semaines après dans un accident d’avion lors d’un voyage au Congo-Brazzaville. La France rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran. Mais le réchauffement intervient rapidement : en novembre 1987, le gouvernement libère W. Gordji, organisateur présumé des attentats de 1985 et 1986, et effectue un second versement de 330 millions de dollars à l’Iran. Les otages Normandin et Auque sont libérés.
La vraie rançon, c’est la bombe !
La libération des derniers otages, Kauffman, Carton et Fontaine, est planifiée entre les deux tours de la présidentielle de 1988. Chirac et Pasqua sont prêts à tout pour gagner : après la grotte d’Ouvéa en Kanaky, c’est la libération des otages du Liban quatre jours avant le second tour. C’est ici que se place la petite histoire de la « rançon ». L’intermédiaire principal, le cheikh libanais Zein, chef religieux de la communauté chiite d’Afrique, dira avoir négocié en promettant trois millions de dollars aux ravisseurs, mais que l’engagement ne fut pas tenu, et qu’il fut évincé par Marchiani et un libanais, I. Sada, qui voulaient s’attribuer le mérite de la libération des otages. Un bel imbroglio de réseaux RPR et libanais. Plus important, après la libération des otages, Chirac signe un accord qui rétablit la « participation directe de l’Iran au capital d’Eurodif" et garantit "l’octroi sans restrictions, par le gouvernement français, de licences d’exportation d’uranium enrichi d’Eurodif vers l’Iran » (AFP, 6 mai 1988). Voilà la vraie « rançon » !
Mitterrand réélu ne donnera pas suite à cet accord. En septembre 1989, un DC10 de la compagnie UTA reliant Brazzaville à Paris explose en plein vol (171 morts). L’attentat est revendiqué par le Jihad islamique au nom d’un « non-respect des promesses faites » lors des « négociations entre Paris et Téhéran ». Les négociations reprennent alors, mais dans un paysage politique international transformé. La guerre froide prend fin. La guerre du Golfe détruit le potentiel militaire et nucléaire irakien construit avec l’aide des grandes puissances. L’Iran reprend sa place. Le 29 décembre 1991, l’Iran et les USA mettent fin à leurs « différends » et l’accord franco-iranien est conclu. Il reconnaît l’actionnariat iranien dans Eurodif et son droit de retirer sa part d’uranium. La France verse un milliard de dollars, en plus des deux versements de 330 millions du gouvernement Chirac lors des libérations d’otages en 1986 et 1987 qui, selon une déclaration des « officiels français » au Washington Post, avaient déjà été « reversés par l’Iran au Hezbollah et au Jihad à titre de remboursement des frais engagés par les ravisseurs pour avoir gardé les otages » !
Rompre le consensus
Aux USA, le scandale de « l’Irangate » avait éclaté pour moins que cela, mais en France, Mitterrand pouvait, sans faire de vagues, donner satisfaction à l’Iran sur toute la ligne. Parmi les députés de cette Ve République, habitués au silence consensuel sur les affaires atomiques et à la prééminence des pouvoirs de la présidence, personne ne souligna que cet accord, qui engageait pourtant les finances et la politique étrangère de l’Etat, aurait dû être soumis au Parlement.
La justice dira s’il y a eu détournement d’une part de « rançon ». Pasqua et Marchiani sont déjà mis en cause par la justice pour le financement illicite de leur liste aux européennes (ventes d’armes à l’Angola, argent des jeux et du pétrole en Afrique). Mais, en 1988, ils agissaient pour leur patron Chirac, forcené de la politique française de prolifération nucléaire, apprenti sorcier qui relança, aussitôt élu, la course aux essais nucléaires. Les électeurs diront s’ils veulent redonner un bail de cinq ans à un homme qui se dérobe à la justice dans de nombreuses affaires et se double d’un nucléopathe dangereux.
La vérité doit être faite face à l’opinion. Une commission d’enquête parlementaire s’impose. Les responsables politiques, ministres ou conseillers de la présidence, qui ont participé à cette politique de prolifération nucléaire vers l’Iran et d’autres pays, doivent s’expliquer. Beaucoup sont de droite, certains de gauche, comme Védrine ou Dumas.
Le peuple français a-t-il donné mandat à ses représentants pour que la France multiplie les bombes atomiques au quatre coins de la planète et sème les germes des guerres de demain ? Quelle est cette République qui laisse des décisions aussi graves que la guerre et le nucléaire sans contrôle des citoyens et de leurs représentants ? C’est à la gauche d’en bas, 100% à gauche, de poser ces vraies questions lors du débat électoral.