Le vote Front National

Vers un vote d’adhésion ?

, par CAMUS Jean-Yves, PATTIEU Sylvain

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Jean-Yves Camus est politologue au Centre européen de recherches sur le racisme et l’antisémitisme (CERA). Auteur de Le Front national (Milan, 2001), il nous donne son avis sur le vote FN.

  • Après la scission de 1998, beaucoup pensaient que le FN était mort politiquement. Comment expliquer qu’il ait encore un électorat aussi important ?

Jean-Yves Camus — La scission a affaibli l’appareil du FN car la majorité des cadres sont partis au Mouvement national républicain (MNR) de Mégret. Mais les ressources électorales du parti de Jean-Marie LePen ont été préservées, d’autant qu’il y a toujours eu un relatif écart entre son succès électoral — plus de quatre millions de personnes — et les 42 000 adhérents revendiqués. Enfin, la situation politique générale n’a pas changé, les raisons de voter FN sont donc restées.

  • Ce qui choque, qui inquiète, c’est la forte proportion de jeunes, d’ouvriers, de chômeurs dans l’électorat Le Pen.

J.-Y. Camus — La composition de cet électorat est une donnée commune au FN et à tous les partis d’extrême droite européens : c’est le cas pour le FPÖ autrichien, pour les partis populistes et xénophobes en Suisse ou dans les pays scandinaves. Il y a deux raisons à cela : d’une part la désertion des partis sociaux-démocrates par rapport aux idées de gauche, leur recentrage libéral, d’autre part la peur de la globalisation, d’une certaine forme de construction européenne. Les couches populaires ne peuvent se retrouver devant l’unanimisme entre la gauche et la droite sur les modalités actuelles, ultralibérales, de la
construction européenne.

  • S’agit-il d’un vote d’adhésion ou de protestation ?

J.-Y. Camus — C’est encore pour beaucoup un vote de protestation, mais de plus en plus d’électeurs FN renouvellent leur choix. Il y a donc progressivement transformation en vote d’adhésion, sans qu’il y ait pour autant adhésion au parti. Ce vote risque de progresser encore en cas de nouvelle cohabitation, car le consensus mou pour gouverner au centre renforce le besoin du vote protestataire. Le Pen l’a compris et cela explique la politique du FN pour créer des triangulaires.

  • Le fait pour la gauche d’appeler à voter Chirac, de le présenter parfois comme un rempart pour la démocratie, ne risque-t-il pas de renforcer l’image d’un Le Pen seul contre le « système » ?

J.-Y. Camus — C’est vrai, mais on n’a pas le choix. L’unanimisme peut renforcer Le Pen. Ainsi, la manifestation de front républicain de dimanche dernier au Panthéon avec, comme mot d’ordre unique, une indignation morale, n’offre aucune perspective politique. Mais on ne peut pas prendre le risque d’un Le Pen à 30% ou plus, qui risque de transformer un vote de nuisance en vote d’alternative. Le seuil franchi le soir du 21 avril, c’est hélas la possibilité pour Le Pen d’affirmer le soir même que voter pour lui c’est voter utile.

P.-S.

Propos recueillis par Sylvain Pattieu.

Source

Rouge, n° 1968, 2 mai 2002.

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