Une interview de José Bové

« Changer les règles du jeu »

, par ARVOIS Emmanuel, BOVÉ José, PATTIEU Sylvain

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Les 30 juin et 1er juillet prochain, José Bové passera en procès avec 9 autres militants pour le démontage d’un McDonald’s. Nous l’avons questionné sur la répression dont il est victime, la lutte contre les ravages de la mondialisation libérale, le « nouvel internationalisme »...

  • François Dufour et toi, vous décrivez dans votre livre [1] la collusion entre la FNSEA et l’Etat pour imposer une agriculture productiviste. Comment une organisation comme la vôtre, qui s’oppose à cette logique, a-t-elle pu se faire sa place dans le monde paysan ?

José Bové — Comme n’importe quelle organisation syndicale : quand les gens se sentent floués, ils comprennent la logique d’un appareil qui est là soi-disant pour les représenter, et en fait les trahit et les élimine. À partir de là, les gens décident. Il y a une prise de conscience sur leur façon de travailler et sur la manière dont on l’exploite, et en même temps sur la façon de se défendre collectivement contre les multinationales, les banques ou face à l’État.

  • À propos de la répression qui vous a touchés avec d’autres paysans de la Confédération, mais aussi les sans-papiers ou les chômeurs, vous parlez de « criminalisation » du mouvement social.

J. Bové — Je pense que c’est dû d’abord à un climat social où l’Etat a une responsabilité. Les mouvements sociaux ou les organisations sont de moins en moins pris en compte. On passe par-dessus leur tête. Le deuxième aspect, c’est une dérive chez les magistrats, qui sont de plus en plus répressifs en ce qui concerne les petits délits, sans jamais s’occuper des problèmes de fond comme le trafic financier et les grands réseaux de blanchiment d’argent. On préfère aujourd’hui agir sur la petite criminalité ou sur le mouvement social qu’on réprime. Il y a nécessité d’engager une réflexion dans les organisations de magistrats et aussi au ministère de la Justice, pour qu’il y ait une autre conception, plus cohérente, de la société et de la justice qu’on entend mettre en place.

  • Quel lien fais-tu entre ton combat de syndicaliste en France et les luttes à une échelle internationale, avec les paysans du Sud ou les syndicalistes nord-américains par exemple ?

J. Bové — Aujourd’hui, le combat contre la mondialisation libérale ne peut pas être corporatiste. C’est un combat de l’ensemble des gens qui sont victimes de cette forme de mondialisation. Il faut changer les règles du jeu. Au niveau paysan par exemple, nous avons créé une structure internationale qui s’appelle Via Campesina. Elle regroupe des paysans de l’ensemble des continents, qui se battent ensemble pour les mêmes objectifs. En Europe, ça passe par un combat contre la politique agricole commune (PAC), ses déséquilibres et ses injustices. En Amérique du Sud, ça passe par un combat pour la réforme agraire ou contre les multinationales qui expulsent des centaines de milliers de paysans pour monopoliser leurs terres. Ce combat est global et pas seulement rural : pendant la manifestation de Seattle, l’AFL-CIO, la plus grande centrale syndicale américaine, a accepté qu’un paysan de chaque continent soit en tête de cortège, donc aussi des paysans du tiers monde.

  • On a parlé de « nouvel internationalisme » : est-ce que tu souscris à cette formule et sur quelles bases ?

J. Bové — Nous y souscrivons dans la mesure où ce que nous avons fait, c’est déjà une forme d’internationale paysanne. C’est la première fois que ça se met en place. Aujourd’hui, plus de 50 % de l’humanité vit de l’agriculture. Rassembler les paysans du monde entier sur un projet global de production agricole, pour lutter contre les multinationales, et permettre aux gens de vivre de leur production et de nourrir leur population, c’est effectivement une remise en question d’un ordre économique qui est aussi porteur de nouvelles façons de concevoir les échanges entre les personnes. Je pense également que c’est une nouvelle forme d’internationale qui est en train de se mettre en place au plan syndical et à travers l’ensemble des mouvements qui luttent aujourd’hui contre la mondialisation. C’est une forme d’internationalisme qui se construit de manière tout à fait diversifiée, à partir de chacun et de ses réalités, et où l’on essaie de mettre en place des objectifs communs à court terme mais aussi à long terme pour transformer les choses.

P.-S.

Propos recueillis par Manu Arvois et Sylvain Pattieu.

Notes

[1Le monde n’est pas une marchandise, de José Bové et François Dufour (Éditions La Découverte).

Source

Rouge, n° 1882, 29 juin 2000.

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