Kosovo, au lendemain du désastre

Hypocrites bilans de deux guerres immorales

, par SAMARY Catherine

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Par-delà le retour massif des réfugiés kosovars dans leur pays, l’héritage des guerres menées par Milosevic et l’OTAN menace l’avenir de toutes les populations concernées.

La guerre de l’OTAN « a failli protéger les Kosovars » selon le beau lapsus de Kouchner ; elle les a fait fuir, selon la propagande de Belgrade. La paix, quant à elle, est censée établir « un Kosovo multiethnique et tolérant, dans les frontières yougoslaves », selon l’OTAN et Belgrade. Comme si la guerre de l’OTAN n’avait pas aggravé sur une échelle sans précédent les pires violences serbes contre la population albanaise, attisant les haines et aujourd’hui ce revanchisme que dénonce le journaliste kosovar Veton Surroï (Le Monde, 31 août, voir p. 12).
On peut comprendre le choix de l’UCK (critiqué par Adem Demaci qui en était le porte-parole) : s’appuyer sur l’OTAN pour obtenir l’indépendance, suite aux promesses orales faites par les Etats-Unis à Rambouillet. Mais la destruction de la Yougoslavie ne stabilisera pas l’avenir du Kosovo et toute la logique des gouvernements de l’OTAN s’oppose au droit des peuples à décider d’eux-mêmes sur les plans économique et politique.

Protectorat

Les Etats-Unis ont profité de l’impasse diplomatique dans laquelle se trouvait l’UE à Rambouillet pour réaliser leurs propres objectifs : imposer l’OTAN contre l’OSCE, l’ONU et l’UE ; valoriser la suprématie politico-militaire américaine au travers d’une guerre immorale à zéro mort (pour l’OTAN). Mais la résistance du pouvoir serbe et l’ampleur de son offensive de nettoyage ethnique ont été sous-estimées. Le retour des réfugiés pouvait seul éviter un fiasco politique à l’Alliance atlantique et son discrédit face au désastre, alors que la cible de la guerre devenait, comme en Irak, la population civile yougoslave. Cela impliquait un accord avec le pouvoir serbe, donc la réinsertion de l’ONU et de la Russie dans le processus.
Les « accords de paix » établissant au Kosovo un protectorat sous mandat de l’Onu ont permis aux gouvernements de l’UE de se remettre en selle, évitant une hégémonie absolue des Etats-Unis et de l’OTAN. Ils représentent un moindre mal, assurant au moins le retour massif et rapide des populations albano-kosovares, impensable sans une force d’interposition internationale. Mais le coût humain, matériel et politique de 78 jours de bombardements et de nettoyage ethnique est loin d’être pleinement mesuré.
Certes, du point de vue albano-kosovar, le protectorat brise le joug serbe et ouvre une nouvelle période historique dont ils espèrent l’indépendance. Mais les grandes puissances en décideront. C’est sur le contrôle des mines de plomb, zinc et argent (notamment du complexe de Trepca) que se joueront les plus forts conflits de pouvoir ­donc de propriété­ entre Kosovars, Serbes et Occidentaux alors que la Serbie reste théoriquement souveraine sur la province. En pratique, la monnaie de Belgrade sera de plus en plus marginalisée par une « markisation » de l’économie de la dite province, tournée vers l’Occident. La présence durable de troupes et organisations étrangères sera source, comme en Bosnie, de corruption et de dépendance.
Loin de faciliter le renversement du régime serbe sur la base d’une clarification et d’une critique progressiste de sa politique, la guerre de l’OTAN a brouillé les cartes et rendu encore plus problématique l’émergence d’une opposition cohérente et progressiste, en dépit de manifestations populaires de ras-le-bol envers Milosevic et de « parlements des citoyens » dans plusieurs villes. Mais ceux qui reprochent à Milosevic d’avoir osé tenir tête à l’OTAN seront accusés d’être vendus à cet Occident qui a bombardé le pays. Les perdants de la politique de Grande Serbie, les Serbes du Kosovo comme les 600 000 réfugiés serbes de Croatie et de Bosnie, se tournent vers l’extrême droite du parti radical de Vojislav Seselj.

Austérité

Le G17 (groupe de 17 économistes yougoslaves libéraux qui s’est formé il y a 2 ans) a chiffré la chute du PIB du pays à 40% cette année et le coût de la reconstruction à près de 30 milliards de dollars. Le coordinateur du groupe, l’économiste Mladen Dinkic, vient de proposer la formation d’un gouvernement d’experts pour contourner le discrédit de partis politiques qui étalent plus que jamais leurs divisions, et pour offrir une porte de sortie à Milosevic. Encore faut-il que le Parlement soutienne cette démarche et que Milosevic s’y plie. Or, celui-ci est loin d’avoir renoncé aux fuites en avant guerrières et cherche actuellement à consolider son alliance avec l’extrême droite, y compris en Bosnie. Il peut aussi paradoxalement piéger et diviser l’opposition en organisant des élections anticipées.
Le « pacte de stabilité des Balkans » se heurtera à l’austérité budgétaire d’une UE libérale qui cherche à devenir une puissance militaire. Sa prétention à stabiliser la région sera contrecarrée par la poursuite des mécanismes de désagrégation économique et sociale associés à la course aux privatisations et aux devises. C’est une autre Europe qu’il faut construire à partir de solidarités et de liens par « en bas », avec les mouvements syndicaux, féministes, jeunes, écolos qui n’acceptent ni la construction d’Etats où l’ethnicité tient lieu de programme social ni les diktats des grandes puissances imposant leurs choix militaires, politiques et socio-économiques.

P.-S.

Il est surréaliste qu’à l’université d’été des Verts, les dirigeants favorables à cette guerre de l’OTAN ne soient pas venus en rendre compte et en débattre lors de la plénière consacrée à cette question-là.

Source

Rouge, n° 1839, 2 septembre 1999.

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