Des affaires récentes ont provoqué des évolutions rapides de la législation française. Des photographies privées et dénudées d’Estelle Halliday, publiées il y a plus d’un an dans un magazine, ont été mises en ligne sur le serveur « altern » par un inconnu répondant au pseudonyme de Silversurfer. Altern est un serveur Web où chacun peut gratuitement créer une page, sous réserve de ne pas y mettre de contenu érotique et pornographique, ceux-ci provoquant un afflux trop massif de connections. Il héberge actuellement environ 45 000 pages, dont de nombreuses associations qui ne pourraient pas s’exprimer sur Internet sans Altern. La page contenant ces photos a rapidement été mise hors service, le propriétaire d’Altern, Valentin Lacambre, la remarquant à cause du trop grand nombre de consultations.
Plainte, procès et tollé
Néanmoins, les avocats d’Estelle Halliday ont eu le temps de faire un constat de l’existence de ces photos et une plainte a été déposée contre Altern pour atteinte au droit à l’image et à l’intimité de la vie privée.
L’hébergeur a été condamné en appel à 300 000 francs de dommages et intérêts plus divers frais. Il faut noter qu’à aucun moment le juge ne s’est préoccupé de l’identité de Silversurfer, considérant qu’Altern était bien le seul responsable du préjudice. L’arrêt de la Cour d’appel impliquait qu’Altern était responsable du contenu de toutes les pages qu’il hébergeait, situation inacceptable puisque supposant que son propriétaire surveille chaque modification des 45 000 pages hébergées.
Suite à ce verdict, la RATP a porté plainte contre une page hébergée par Altern pour « usurpation de marque » et un autre procès a eu lieu contre les pages de la CNT, elles aussi sur Altern, pour un message jugé diffamatoire.
Ces différents procès ont entraîné la fermeture temporaire du serveur et la disparition des milliers de sites hébergés, l’hébergeur ne pouvant de toute façon pas payer les amendes. La disparition d’Altern a alors provoqué un tollé médiatique assez étonnant, avec le soutien, en vrac, d’Attac, de Démocratie libérale, des Verts, du PCF, de la FA et du PS, l’affaire étant évoquée par Jospin lors de la Fête de l’Internet.
Qui est responsable ?
Suite à cette agitation, la RATP a retiré sa plainte, le plaignant contre le site de la CNT a été débouté et un accord avec Estelle Halliday a été trouvé, remplaçant les 300 000 francs de dommages et intérêts par 70 000 francs versés à une association caritative. Altern a pu reprendre une activité normale.
Enfin, deux amendements proposés par le député socialiste Patrick Bloche à la loi relative à la liberté de communication ont été adoptés en première lecture le 27 mai. Le premier supprime le régime de déclaration préalable des services en ligne. Le deuxième n’engage la responsabilité de l’hébergeur que s’il a contribué à la création du contenu litigieux ou s’il n’agit pas après avoir été saisi par une autorité judiciaire. A noter que la droite proposait que les hébergeurs déclarent au CSA les sites hébergés ainsi que les noms de leurs responsables, ce qui revenait quasiment à imposer à l’hébergeur une censure a priori. Ces amendements vont donc clairement dans le sens de la défense d’un réseau Internet libre et indépendant, à contresens de l’évolution actuelle du réseau vers un Internet marchand.
En mai 1996, alors que l’on parle encore peu d’Internet dans le grand public, les dirigeants de Worldnet et Francenet sont placés en garde à vue pour avoir diffusé dans les newsgroups des images à caractère pédophile. Ils sont présentés par la presse, notamment à la télévision, sous le terme de « fournisseurs d’accès pédophiles ». Sur les 6 à 8 000 newsgroups hebergés à l’époque par ces fournisseurs, plus de 100 000 messages sont diffusés par jour. La justice reproche à ces fournisseurs d’avoir transporté parmi ce volume quelques dizaines de photos à caractère pédophile. Ils ne sont pas accusés de la création de ces images, mais seulement de leur transport et de leur stockage. Le simple énoncé de l’affaire montre son absurdité : il est impossible à un fournisseur de lire plus de 100 000 messages par jour pour vérifier leur contenu. Depuis, l’affaire n’a guère évolué du côté judiciaire. Par contre, les fournisseurs d’accès se sont regroupés dans l’AFPI, une association dont les membres s’engagent à ne plus diffuser un certain nombre de groupes, pédophiles ou révisionnistes. Si Internet a permis un développement des réseaux pédophiles, il a aussi permis aux gouvernements une surveillance accrue de ces réseaux, comme l’ont montré les arrestations effectuées en France l’année dernière.
En octobre 97, une enquête est ordonnée suite à la découverte sur un site des textes révisionnistes présentés sous le nom de Robert Faurisson. Faurisson est alors poursuivi en justice et la LDH se porte partie civile. Cette affaire est particulièrement intéressante car le site web hébergeant les textes est localisé aux Etats-Unis. Ce sera le premier axe de défense de Robert Faurisson. Or le tribunal a procédé par analogie avec la presse, où « il est constant que le délit est réputé commis partout où l’écrit a été diffusé ». Le tribunal s’est donc jugé compétent, puisque bien que le site soit hébergé à l’étranger, il est consultable en France. La loi française s’applique donc à toute donnée consultable sur Internet. Par contre, le tribunal a relevé qu’il n’y a pas d’indication permettant d’affirmer que Faurisson est bien l’auteur des textes, ce qui a entraîné la relaxe du prévenu. Le problème majeur dans ces affaires est donc d’établir l’authencité de la provenance des données en cause, authenticité sans laquelle il est impossible de mener à bien une procédure judiciaire.
Lexique
Internet : réseau mondial d’ordinateurs développé à l’origine aux Etats-Unis pour la recherche et la défense et auquel chacun peut maintenant se connecter par le biais d’un micro-ordinateur et d’un fournisseur d’accès. Internet transporte plusieurs types d’informations, notamment le mail, le web, les groupes de discussions et l’IRC.
Serveur Web : ordinateur mettant à disposition des pages d’informations (textes, sons, images) consultables avec un navigateur.
FAI : Fournisseur d’accès à l’Internet (provider). Il permet à chacun de se raccorder à Internet, par les lignes téléphoniques ou les réseaux câblés. Le plus important FAI français est Wanadoo, filiale de France Télécom.
Hébergeur : personne ou société mettant à disposition des serveurs Web, gratuitement ou pas.
Groupes de discussions (news) : espaces de discussions non interactives organisés par thèmes, régions ou langues. Les messages sont propagés dans le monde entier par les serveurs de news.
IRC (Internet relay chat) : espaces de discussions interactives hébergés sur un seul serveur. Ambiance proche des serveurs de discussion du minitel français.
Pour en savoir plus
- Sur l’affaire Altern : http://www.altern.org
- Sur l’amendement voté le 27 mai : http://www.assemblee-nationale.fr/2/cra/99052715.htm#P153_44260
- Association française des professionnels de l’Internet : http://www.afpi.net
- Association des utilisateurs de l’Internet (AUI) : http://www.aui.fr
- IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire) : http://www.iris.sgdg.org
- Affaire Faurisson : http://www.legalis.net/legalnet/judiciaire/correc_paris_1198.htm
- Un roman policier traitant avec à popos de la pédophilie sur IRC : Nécroprocesseur, de Jacques Vettier, Métailié.