Une exposition sur le fauvisme

L’épreuve du feu

, par VIOLET Alexis

Recommander cette page

Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris consacre une exposition aux « fauves », qui illuminèrent la peinture entre 1905 et 1907 [1].

En 1905, le président de la République refusa d’inaugurer le Salon d’automne à cause de la présence d’une salle dite des « fauves ». Mais qui se souvient de cet Emile Loubet, alors que tout le monde connaît le nom du plus célèbre exposant à cette manifestation, Henri Matisse ?
Couleur, espace, lumière : de jeunes artistes, moins de 30 ans, vont, derrière leur aîné, mordre à pleines dents dans la vie du siècle, et se précipiter dans la modernité en oubliant les bonnes manières.
Arrangement rythmique de la ligne et de la couleur, recherche de l’expression et de la sensation, les « fauves » vont libérer le fait pictural de son rôle descriptif. Matisse recherche une simplicité radicale, ce qui à l’époque est révolutionnaire : quand on lui demande ce que l’un de ses tableaux, la Joie de vivre, signifie, il répond : « Exactement ce que dit son titre. »
Eruption du nouveau, émergence de couleurs vives, pures et stridentes qui choquent, les « fauves » cherchent, s’interrogent, questionnent, le temps les presse. « Qu’est-ce que je veux ? Telle fut l’anxiété dominante du fauvisme », dira Matisse. Et Derain, qui veut faire de la couleur une nouvelle matière, ajoutera : « Le fauvisme a été pour nous l’épreuve du feu. » Les « fauves » posent sur le monde un regard nouveau, ils ont le courage de retrouver la pureté des moyens et refusent les raffinements, les rouges, les bleus, les jaunes, sont beaux et francs. Des couleurs crues, cruelles, criardes dira-t-on de celles utilisées par ces sauvages. Ils osent des teintes différentes de celles qu’ils voient, pour rendre sensible la vibration qu’elles procurent, délaissant toute vérité optique, et la touche n’est jamais prisonnière du dessin. Derain peindra un arbre de trois couleurs différentes pour qu’elles s’articulent, s’équilibrent avec les couleurs du décor.
Emotion, pulsions immédiates, rejet des règles en vigueur et ouverture aux cultures autres marquent ces peintres, arts islamique, africain, océanien, art populaire russe et ses icônes, tout passionne les « fauves » qui se libèrent, suivant Gauguin et Van Gogh.
Pour beaucoup, fauvisme égale Paris. S’il est vrai qu’autour de Matisse on trouve de « grands » peintres français, Derain avant tout et Dufy, ainsi que quelques immigrés, Vlaminck et Van Dongen d’abord, l’intérêt de cette exposition est de montrer que cette explosion juvénile et créative touche largement l’Europe, et qu’elle permettra un échange fructueux entre différents groupes de créateurs qui refusent la couleur « d’imitation ». Le Norvégien Munch, le Praguois Kupka, le Russe Kandinsky, l’expressionniste allemand Kirchner du groupe Die Brücke, etc. : il y a là une véritable « internationale européenne ».
De ce fauvisme explosif, des participants vont poursuivre leur recherche, elles déboucheront sur l’abstraction pour Kandinsky, sur le cubisme pour Braque dont on oublie qu’il fut aussi de ce courant impétueux. De véritables réseaux ont existé, les échanges furent nombreux, vrais et profonds. Certains, mais c’est tellement fréquent, renièrent leur passé et rejoignirent l’ordre des choses, Derain, Vlaminck et Van Dongen, ces deux derniers n’ayant plus grand-chose à peindre finirent même pétainistes.
L’explosion fugitive de cette jeunesse en rupture marquera l’histoire de la peinture moderne, alors que cette fulgurance, qui ne fut jamais une école mais une affinité sélective, une manière de casser des chaînes qui nuisaient et dénaturaient la création, ne dura que deux ans, de 1905 à 1907. Si l’on veut changer le monde, il n’y a pas de temps à perdre.

P.-S.

Rouge, 2000.

Notes

[1« Le fauvisme, éruption de la modernité en Europe ou l’épreuve du feu ». Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 27 février, avenue du Président-Wilson, Metro Iéna.

Pas de licence spécifique (droits par défaut)