Le 15 mai dernier, le Tour d’Italie, première grande épreuve cycliste par étapes de l’année, a débuté par l’exclusion de deux coureurs après la découverte d’un taux d’hématocrite (concentration de globules rouges dans le sang) supérieur à la norme. Quelques jours plus tôt, les derniers rebondissements de « l’affaire Festina » étaient à la « une » de l’actualité mettant en scène les protagonistes habituels (B. Roussel, l’ancien directeur sportif de Festina, W. Voet, le soigneur, et l’ancien leader de l’équipe, R. Virenque) et faisant apparaître un faux médecin, vrai éleveur de chevaux et fournisseur de produits dopants et masquants, B. Sainz. Quelques jours auparavant, la brigade des stupéfiants avait dévoilé un important réseau de trafic de produits dopants, des cyclistes et un footballeur avaient été placés en garde à vue au quai des Orfèvres. Et quelques jours plus tôt La liste est encore longue de ces révélations, révélations dues au travail de la justice surtout, d’une prise de conscience de certains Fédération française de cyclisme (FFC), ministère de la Jeunesse et des Sports mais le plus souvent contre la volonté d’un milieu sportif dans lequel la « loi du silence » reste la règle majeure en matière de dopage.
Le fait que le cyclisme soit tout particulièrement visé par les révélations et les soupçons est lié à une pratique ancienne du dopage dans ce sport où, dès le début du siècle, l’idée de performance était associée à la technologie et à la prise de produits destinés à améliorer les résultats. Qui plus est, les relations que le cyclisme entretient avec le dopage ont été marquées par le drame (cf. la mort de Tom Simpson sur les routes du mont Ventoux en 1967). Mais cela ne doit en rien occulter le fait que ce sport n’est pas le seul touché par le dopage. Cette pratique et le silence qui l’accompagne, touchent notamment l’athlétisme, la natation, l’haltérophilie, mais également le football. Comme la plupart des sports collectifs, celui-ci a longtemps eu l’image d’une activité épargnée par le dopage. Le sens commun ne reconnaissait-il pas d’ailleurs que la prise de produits interdits était sans intérêt dans un sport où la cohésion de l’équipe, la force collective sont plus importantes que les performances d’un seul ? Pourtant, dès 1939, les soupçons se portaient sur deux équipes du championnat anglais (Wolverhampton Wanderers, Portsmouth) ; dans les années 1980, le gardien de but allemand Harald Schumacher et le Français Eric Cantona faisaient des déclarations sur l’existence du dopage dans le milieu du football mais n’étaient pas pris au sérieux ; et depuis la fin des années 1980, de nombreuses affaires plus ou moins claires sont apparues touchant notamment Maradona ou le championnat de France (l’Olympique de Marseille et d’autres clubs de Division 1). Mais c’est d’Italie que sont venues les dernières révélations troublantes. En effet, au pays du calcio, la justice s’est saisie du problème, ouvrant des enquêtes qui visent quelques clubs, dont celui de Parme, récent vainqueur de la Coupe de l’UEFA. Là, c’est toute une formation de 24 joueurs qui aurait pratiqué un dopage à l’EPO organisé par le club (Daniel Bravo, ancien joueur de Parme, a déclaré il y a quelques mois : « Les jours de match on nous piquait »). Par ailleurs, le football s’est illustré dans le domaine de l’hypocrisie teintée de ridicule. Alors que des joueurs sont soupçonnés de prendre de la créatine pendant des mois afin d’augmenter leur masse musculaire et ne sont pas convaincus de dopage, d’autres Fabien Barthez et Bernard Lama, gardiens de l’équipe de France sont déclarés dopés et suspendus pour avoir fumé du cannabis dans les 15 jours précédant un match !
L’homme réduit à la performance
En outre, loin de ne toucher que le sport professionnel, le dopage concerne également les sportifs amateurs. Là encore, le phénomène semble étendu mais les révélations sont venues du cyclisme lorsqu’a été découvert un vaste réseau de trafic de produits interdits. Deux anciens coureurs vendaient au départ de nombreuses épreuves régionales un produit connu sous le nom de « pot belge », qui offrait aux concurrents la possibilité de s’injecter un cocktail détonant d’amphétamines, d’antalgiques, de caféine, de cocaïne et d’héroïne pour la modique somme de 1 000 à 1 500 francs !
Au-delà des révélations multiples, des rebondissements divers, de l’hypocrisie persistante et du silence pesant, le dopage doit nous amener bien sûr à nous interroger sur l’évolution actuelle du sport. Tout d’abord, il convient de répéter combien cette pratique va à l’encontre de l’éthique sportive, censée être faite d’égalité des chances, de loyauté et de respect de l’adversaire. Ensuite, il s’agit de ne pas oublier les effets du dopage : la consommation de substances améliorant les performances peut mettre la santé du sportif en danger, jusqu’à abréger plus ou moins son existence. Enfin, les efforts déployés par ces médecins, ces soigneurs, tous ces individus qui gravitent autour des sportifs ne peuvent que nous amener à nous interroger sur la conception qu’ils se font de l’homme. Qu’est donc l’être humain lorsqu’il est réduit à ne devenir qu’une machine à performances, qu’une source de gloire et de profits toujours plus importants ?
La logique de la performance, du record à tout prix a conduit à de multiples abus. Le dopage est le plus criant mais ne doit pas faire oublier les ravages de l’entraînement sportif intensif précoce. Songeons à ces milliers d’enfants sacrifiés sur l’autel de la compétitivité, de la gloire et de revenus futurs. Que penser de ce jeune footballeur présenté comme un « achat » plein d’avenir par un grand club italien alors qu’il n’a que 8 ans ?
Le sport sous la coupe de la mondialisation
« Profits », vous avez dit « profits » ? En effet, si le dopage a pris une telle ampleur dans le sport, c’est également par souci d’une performance rémunératrice. Reflet et produit de la société, le sport a, lui aussi, subi depuis quelques années les effets dévastateurs de la mondialisation, de la médiatisation et de la marchandisation. Dans certains sports, comme le football, le vocabulaire utilisé, les pratiques constatées laissent à penser que le sportif n’est plus vu par tel dirigeant de club que comme une source de profits ou une marchandise, par telle multinationale que comme un vecteur de communication intéressant. L’argent et les hommes d’affaires ne cessent d’envahir le sport, la logique économique s’impose un peu plus chaque jour au détriment de la logique sportive, au point de transformer les enjeux et les significations d’une activité à l’impact considérable en cette fin de siècle.
Repères
Quelques produits dopants et leurs effets « indésirables »
— Stimulants (salbutamol, amphétamines, heptaminol, nor-éphédrine) : améliorent la capacité de performance physique à court terme, ont un effet euphorisant ; peuvent entraîner des troubles psychiques, la dépendance, l’épuisement total, voire la mort.
— Anabolisants (nandrolone, nor-androstérone, mestérolone) : permettent d’augmenter l’assimilation des protéines et de développer la masse musculaire, favorisent la croissance et développent les caractères masculins ; peuvent entraîner des lésions du foie, des perturbations du fonctionnement testiculaire, des infarctus, des troubles cardio-vasculaires.
— Bêtabloquants (aténolol, bisoprolol, propranolol) : ralentissent le rythme et l’activité cardiaques, calment la nervosité et l’anxiété ; augmentent les risques de crises d’asthme.
— Hormone de croissance : favorise la croissance ; entraîne le diabète et l’hypertrophie de certaines parties du corps.
— L’érythropoïétine (EPO) : augmente le nombre de globules rouges, donc l’oxygénation des tissus ; entraîne l’hypertension artérielle, des thromboses, des embolies pulmonaires et cérébrales pouvant entraîner la mort.
Quelques affaires significatives
- Cyclisme
1967 : l’Anglais Tom Simpson, dopé aux amphétamines, meurt sur les pentes du mont Ventoux durant le Tour de France.
1975 : le multiple champion du monde de cyclocross, Eric de Vlaeminck, est interné dans un service psychiatrique, sans doute victime des produits dopants consommés durant sa carrière.
1978 : le belge Michel Pollentier, vainqueur à l’Alpe-d’Huez, est exclu du Tour de France pour avoir tenté de dissimuler son dopage.
1988 : Pedro Delgado, leader du Tour de France, est déclaré positif au probénécide, un produit masquant permettant de dissimuler la prise de stéroïdes anabolisants. Le coureur parvient à ne pas être exclu et gagne le Tour.
1998 : l’« affaire Festina » pousse l’équipe de Richard Virenque à quitter le Tour de France.
- Athlétisme
1988 : le sprinteur canadien Ben Johnson est contrôlé positif aux anabolisants après sa victoire en finale du 100 mètres des J.O. de Séoul. Il est exclu, son record du monde n’est pas homologué et il est suspendu 4 ans.
1992 : la sprinteuse allemande Katrin Krabbe est contrôlée positive au clenbutérol.
Et dans la longue liste des morts prématurées dues ou imputées au dopage figurent notamment Florence Griffith-Joyner, morte à 38 ans, Birgit Dressel, heptathlonienne allemande, décédée à 27 ans, Ralf Reichenbach, lanceur de poids, mort à 47 ans, d’un accident cardiaque causé par l’abus d’anabolisants.
- Football
1991 : Diego Maradona, « le meilleur joueur du monde », est contrôlé positif à la cocaïne, à l’éphédrine en 1994, puis de nouveau à la cocaïne en 1997.
1997 : cinq footballeurs français — D. Garcion (Lille), V. Guérin (PSG), D. Arribagé (Toulouse), A. Sibierski (Auxerre), C. Pouget (Le Havre) — sont déclarés positifs à la nandrolone.
1998 : les joueurs de Parme sont soupçonnés de s’être dopés à l’EPO.