- Ce film raconte une histoire, mais quelle est son histoire à lui ?
Jean-Michel Carré — Elle a commencé par la lecture dans un journal d’une brève qui expliquait qu’au Pays de Galles, des mineurs, pour éviter la fermeture de leur mine, l’avaient rachetée et la faisaient fonctionner en coopérative. Sous Thatcher ! Et dans un domaine qui paraît bien vieux : quel espoir pour le charbon ? Il fallait que j’aille voir !
- Cela évoquait des souvenirs ?
J.-M. Carré — J’avais vingt ans en 68. J’ai connu la grève de Lip Le souvenir donc de toutes ces grandes grèves au cours desquelles on discute de tout : les conditions de travail, le logement, la santé, les enfants Et où on commence à tout réinventer.
Ce qui m’intéressait dans ce cas, c’était de venir trois ans après le rachat. D’autant qu’on disait que ça marchait. Les mineurs disposent de tout le savoir-faire pour extraire le charbon, mais pour le vendre, pour gérer l’emploi ?
Ainsi est né un film sur la démocratie en marche : 300 personnes qui décident de tout en assemblée générale, même s’il y a des leaders. Ainsi que des managers, mais ce sont les ouvriers qui les embauchent et les licencient ! Il s’agissait d’observer les mécanismes mis en place pour éviter toute dérive d’un pouvoir quelconque.
Le point de départ pour eux était de sauvegarder leur emploi dans une région qui connaît 30 % de chômage, et le seul moyen était de devenir propriétaires de la mine, en prenant le risque d’investir dans l’affaire les indemnités de licenciement. Pour le noyau dur, la question était que ne se perde pas dans l’expérience le rêve de départ. Ils ont augmenté les salaires, certains sont devenus individualistes, mais dans l’ensemble ils n’ont pas oublié les autres : ils sont allés à Cuba, ils ont soutenu les dockers de Liverpool, sponsorisé la marche des chômeurs britanniques à Bruxelles.
- Vous êtes resté longtemps sur place, avec eux ?
J.-M. Carré — Le film a été construit sur la durée, une année, avec quatre séjours de plusieurs semaines. Ce qui a permis de voir l’évolution de certains. Par exemple, ce jeune, d’abord attiré par le bon salaire, « un enfant de Thatcher » comme dit un mineur, qui s’est politisé, est devenu délégué syndical. On voit la transmission d’un savoir politique, de toute une réflexion.
Le film aurait pu être celui d’une autre lutte ouvrière, mais évidemment, avec les mineurs, c’est toute une histoire ! Cette mine est très ancienne, riche d’une forte culture ouvrière qui s’est construite sur plusieurs générations. Et, compte tenu des dangers, la fraternité entre mineurs est profonde. C’est tout cela que Thatcher a voulu briser. Et c’est tout cela qui résiste.
Leur socialisme n’a rien à voir avec ce que l’on appelle ainsi en France. Si la plupart d’entre eux sont toujours au Parti travailliste, c’est par conviction qu’un jour ils ramèneront ce parti à gauche. Ils ne lâchent pas.
- Malgré tout, ne sont-ils pas en sursis ?
J.-M. Carré — Non, ça marche ! Comme beaucoup de mines ont fermé, ils vendent leur charbon dans de nombreux pays. Ils ont imposé au gouvernement un quota de charbon dans la production d’énergie, ce qui fait qu’ils ont des débouchés pour 10 ou 15 ans, c’est-à-dire jusqu’à l’épuisement des filons actuels.
Le centre touristique qu’ils veulent monter est conçu comme un musée de la mine, mais avec une mine qui vit. Ce qui, en outre, va les amener à creuser une nouvelle entrée du puits qui devrait rendre exploitables de nouveaux filons.
Et ils ont investi pour améliorer la sécurité et mieux respecter l’environnement. Oui, ils sont compétitifs ! Après avoir amélioré les salaires, la sécurité, les conditions de travail Du coup, il n’y a plus d’absentéisme, ni de gaspillage. Et ils réfléchissent sur d’autres moyens d’aider les chômeurs, de développer la culture, le sport
- Ce film, quelle place prend-il dans votre oeuvre ?
J.-M. Carré — Une place bien à part. Mon premier film, je l’ai réalisé en 1968, à Cuba, sur Fidel Castro, grâce à un concours de jeunes cinéastes. Mais il était fait pour la télévision et, avec la remise en ordre, il a été interdit d’antenne, puis il a disparu. Ensuite, comme beaucoup de gens faisaient du très bon travail sur les entreprises et les luttes ouvrières, je me suis dit qu’il y avait d’autres domaines où changer le monde. J’ai cherché du côté des questions de société, et de celle qui m’apparaissait la plus décisive : l’éducation, l’échec scolaire. Ce fut Alertez les bébés, puis d’autres films sur cette même question.
En fait, j’ai toujours fait des films sur l’enfermement : la prison, la délinquance, les jeunes femmes qui sortent de prison et sont contraintes de se prostituer pour survivre, la folie.
Quand j’ai eu connaissance de l’expérience de Tower, je me suis dit que ce serait intéressant de faire sur la classe ouvrière un film positif. Face à tant de luttes qui échouent, montrer l’espoir, dire que les travailleurs peuvent prendre en charge leur entreprise et inventer.
C’était très important pour moi de faire ce film. Par rapport à une gauche qui a fermé les mines, qui est en phase avec le capitalisme, c’est un film qui devrait la questionner et la remettre en cause, qui doit permettre de débattre d’autre chose que l’actionnariat salarié. Car, une fois l’outil de production pris en main, les problèmes arrivent : comment transformer le travail, quelle polyvalence, quelle place pour les retraités, comment insérer les handicapés, comment ouvrir la mine aux femmes. Toutes les questions sont posées !
Les ouvriers ne sont pas seulement capables de lutter, ils savent construire, accomplir des réussites économiques. C’est un film de la dignité ouvrière, une dignité retrouvée, assumée.