Techno Parade 99

Un mouvement techno ?

, par KOSMICKI Guillaume

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À l’heure où la deuxième Techno Parade de Paris va se tenir, où la répression sévère contre les raves semble s’être amenuisée, et où la musique techno s’entend partout jusque dans les supermarchés ­mais quelle techno ?­, on peut se demander s’il existe et s’il a vraiment existé un jour un véritable « mouvement techno ».

Le 19 septembre 1998, cela semblait idyllique, la France allait avoir sa parade techno qui défilerait au grand jour, représentative de tout un mouvement, de la fin d’un rapport de force constant avec la police, les gendarmes, les préfets et même l’Assemblée [1]. Pourtant, on entendait déjà courir des bruits, qui manifestaient des divergences fortes au sein de ce trop bel unisson. Des sound systems, représentants de la partie clandestine de cette « culture techno » et habituels organisateurs des free parties (fêtes libres, gratuites, et la plupart du temps illégales) et autres teknivals (rassemblements du même type de plusieurs sound systems durant plusieurs jours, à l’invitation de l’un d’entre eux, et qui se tiennent dans toute l’Europe depuis 1993, principalement en été), devaient barrer le passage de cette parade. Le soir, à l’issue de la manifestation, 4 000 personnes se sont retrouvées Porte de la Villette pour un teknival qui représentait évidemment la contre-offensive aux grosses fêtes payantes (100 F en moyenne) organisées autour de la Parade avec le soutien de l’association qui en avait eu l’initiative : Technopol. Cette dernière, si elle a eu (et a toujours) un grand rôle dans la détente des pouvoirs publics face aux raves, n’en était pas moins contestée violemment pour cette parade qui « puait le fric », avec notamment pour preuve les nombreux sponsors affichés et la retransmission en direct sur M6, chaîne à la pointe de la mode musicale grand public. Beaucoup de déçus ont annulé leur adhésion.

Un fort clivage

Qu’est-ce qui explique ces dissensions ? Pour ces personnes, « leur » techno n’était pas représentée dans ce rassemblement. Cela implique non seulement la musique, mais aussi les pratiques sociales qui se tiennent autour d’elle. Cette fameuse « rave » géante de fin de parade, place de la Nation, s’apparentait bien plus à un concert ordinaire, avec ses musiciens-stars juchés sur une scène, entourés de caméras, mitraillés de spots. À l’opposé, la free party ne présente que des noms de sound systems. Les DJs (Disc-Jockeys) et les musiciens y sont cachés au moyen de différents artifices, ou situés au sein du public. La musique qu’ils diffusent, loin des millions d’exemplaires vendus par les Daft Punk sur la major Virgin, se diffuse à un tout petit nombre d’exemplaires (entre 500 et 2000), sur des petits labels souvent clandestins.
Lorsque l’on affirme que la répression a cessé, et que l’on considère la techno « comme n’importe quel courant musical » [2], on en exclut bien sûr cet aspect du mouvement. Certes, Technopol ne manque pas de citer quelques-uns des faits majeurs ­qui sont légion­ de cette lutte qui continue, telle la surveillance policière assidue pendant 8 mois du sound system Voodoo’z. Démagogie ? On n’entend pas parler de la confiscation de tout leur matériel, de leur liberté sous contrôle judiciaire avec interdiction d’organiser et même de fréquenter tout événement assimilable à une rave [3], sous peine de préventive. La free party n’est pas aimée. Bien plus qu’un « supermarché de la drogue », bien plus qu’un commerce clandestin (outre une donation parfois exigée, on y vend disques, cassettes, nourriture et boissons, sans autorisation ni licence, à des prix modiques), elle est contestation de l’ordre établi. Elle offre aux gens le plaisir de faire la fête dans des lieux non imposés par l’Etat et non contrôlables par lui, contrairement aux clubs et aux raves « officielles », dont l’organisation, une fois l’accord de la préfecture obtenu, coûte une fortune (frais de sécurité, locations, rémunération des DJs-stars, etc.). Y a-t-il véritablement plus de drogues dans les free que dans les clubs, ou plutôt une circulation plus libre, comme le souligne E. Grynszpan [4] ? Est-on plus en sécurité dans un club, alors que les gérants n’y laissent parfois couler que l’eau chaude dans les toilettes, poussant les « clients » à la consommation au bar ? On sait pourtant que l’un des effets de l’ecstasy, une de ces drogues que l’on a rattachée au mouvement techno, est la déshydratation du corps.

Une autre vision de la techno

On assiste alors depuis plusieurs années à une séparation de plus en plus forte entre un public fréquentant les « raves » commerciales ainsi que les clubs techno et house et le public participant aux free parties. Ce mot de « participation » n’est pas innocent, car on mesure bien que les caractéristiques de la free ­lieu inconnu jusqu’au dernier moment, départ au milieu de la nuit, distance importante séparant souvent les ravers du lieu de la fête (certains vont jusqu’en Europe de l’Est, voire plus loin, pour participer à ces événements), et conditions de confort moindres (on parle souvent de pluie et de pieds dans la boue)­ entraînent la nécessité d’une volonté bien plus forte que le déplacement pour ce que le mouvement free party nomme une « commerciale ». Le public n’est pas « client » : dans ces manifestations, le caractère contestataire de la techno prend toute son ampleur, par l’acte même de la participation. Certes, on peut considérer qu’un commerce parallèle s’y tient, mais les gains en sont réinvestis pour l’organisation des fêtes suivantes, et donc pour le public qui les génère.
Les multinationales du disque et les entreprises qui veulent donner une image « jeune » se sont jetées dès que possible sur le filon techno et en récoltent massivement les dividendes [5]. Elles ont alors très rapidement récupéré ces mots qui, un moment, ont pu porter un sens fort pour les ravers. House nation ne veut plus rien dire aujourd’hui, dans un mouvement qui s’est scindé en diverses tendances musicales, mais surtout sociales. L’underground, sorte de manifestation de foi du mouvement free party, sert aussi d’étiquette pour vendre des millions d’albums, dont certains ne présentent qu’une musique anémiée qui copie des modèles très anciens, alors que la techno se veut éphémère et sans cesse renouvelée. Le vrai mouvement techno n’est pas là où l’on veut bien nous le faire croire.

P.-S.

Rouge, 1999.

Notes

[1Rappelons la circulaire Pasqua « Les raves : des situations à haut risque », remplacée par de nouvelles directives depuis décembre 1998.

[2Programme officiel de la Techno Parade 1999.

[3Informations relevées sur le site http://www.freetekno.org Consulter aussi http://www.imaginet.fr/kanyar

[4Bruyante techno (Mélanie Séteun), p. 30.

[5Une marque de parfum a sponsorisé un voyage durant l’été pour toutes les parades européennes jusqu’à celle de Paris.

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