Débat

Un nouvel Eldorado ? Les technologies de communication

, par JOSSEN Yvan

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La télévision numérique, les téléphones branchés sur Internet, les bouquets de satellites, tous ces objets qui relèvent des nouvelles technologies de la communication (Ntic) et dont on nous promet monts et merveilles, sont les fourriers d’une seule vision du monde : la pensée unique du tout libéralisme prônée par les Murdoch, Messier et autres Bill Gates. Un talon virtuel écrase la planète, et imprime en douceur la soumission au creux des consciences. La révolte n’en sera que plus difficile.

Pour Joël de Rosnay, l’un des papes du numérique, la nouvelle société informatisée agit « comme un lubrifiant, un accélérateur et un catalyseur de la société industrielle classique, en permettant de rendre l’économie plus fluide, et donc de permettre la création d’activités et d’emplois nouveaux » (Politis, 25 septembre 1997). Dans cette société en gestation, on luttera contre le chômage avec des suppositoires virtuels autolubrifiés qui arriveront directement dans les cerveaux des gens.
À gauche, tout le monde s’extasie sur ces machines : cinquante ans de propagande médiatique intense en faveur de la télévision et des innovations audiovisuelles ont marqué les consciences.

Une gauche paralysée

Mais l’ampleur des dégâts consécutifs à une défaite sans combat sur le terrain de l’audiovisuel de masse a un prix : la quasi-disparition des partis de gauche et des syndicats, simultanée à la montée en puissance de ces médias. Le peu de parole qu’on leur concède encore n’est qu’une aumône pour temps de grève. Le travail de critique a été confié bien tardivement à quelques intellectuels courageux, comme Serge Halimi ou Pierre Bourdieu, qui ont planté des banderilles dans le dos de la bête, mais sans pouvoir proposer de projet stratégique. Affirmer l’immensité de l’affront démocratique que constitue l’appropriation des médias, canaux et contenus, par quelques grands capitalistes est une chose, songer à les exproprier en est une autre...

Le reflet comme alibi

Autre obstacle de taille à surmonter : l’idée selon laquelle les médias sont un reflet de la réalité. Dans les faits, la réalité telle qu’elle existe est de plus en plus le résultat des informations que les médias de masse diffusent sans contestation et dont les hommes se servent pour façonner le monde. C’est Radio Mille Collines qui met en forme la folie meurtrière qui a saisi les Hutus, c’est la télévision de Milosevic qui instrumentalise la défaite du Champ des Merles pour appeler à commettre des crimes contre l’humanité. Ce sont aussi les journalistes qui vantent tous les matins, sur France inter, les vertus de l’ultralibéralisme et les exploits du CAC 40. L’alibi du reflet, qui pose les médias comme garants ultimes de la démocratie, interdit de focaliser la critique sur eux et de songer à en percer les murailles.

Une Bastille à prendre

Ecrasement du temps, disparition de la mémoire, effacement de l’histoire, débilitation de l’esprit collectif, primauté de l’image sur l’écriture et la parole : le travail de sape des Ntic a porté ses fruits, vénéneux. En moins de vingt ans, les bastions ouvriers où la solidarité était le maître mot ont fait place au travail à la tâche informatisé, les acquis d’une lutte séculaire sont démantelés par la flexibilité. La gauche, ses partis, ses syndicats, ses associations seront-ils enfin capables de comprendre que le combat pour l’émancipation, pour une autre « image » de l’humanité, passe aussi par l’appropriation de ces nouvelles technologies par les exploités ?

Yvan Jossen, journaliste à Fréquences libres

P.-S.

Rouge, 1999.

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